Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/162

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tombes de ceux qui furent tués dans ce petit corri ou fond de l’autre côté du torrent, où, si vous avez de bons yeux, vous distinguerez des taches vertes sur la bruyère. Mais voici un earn, que vos gens du midi appellent un aigle ; vous n’avez pas en Angleterre d’oiseau de cette espèce ; il va chercher son souper dans les terres de Bradwardine, mais je veux lui envoyer une balle. »

Il tira dessus aussitôt et manqua le roi superbe des tribus emplumées, qui, sans avoir l’air de s’apercevoir qu’on l’eût visé, continua majestueusement son vol vers le sud.

Un millier d’oiseaux de proie, faucons, milans, corneilles et corbeaux, effrayés par le coup de fusil, quittèrent les retraites qu’ils s’étaient choisies pour la nuit, mêlèrent leurs cris rauques et discordants que renvoyait l’écho des rochers, et qui se confondaient avec le fracas du torrent. Evan, un peu désappointé d’avoir manqué l’oiseau lorsqu’il eût voulu donner une preuve de son adresse, se mit à recharger son fusil en sifflant un pibroch pour dissimuler sa honte, et, sans adresser un seul mot à son compagnon de voyage, continua de monter le défilé ; il plongeait sur un vallon étroit, entre deux montagnes très-hautes et couvertes de bruyère. Ce torrent se trouvait toujours sur la route, et ils furent de temps à autre obligés de le franchir en ses détours ; cas dans lesquels Evan offrait constamment à Édouard de le faire porter par ses domestiques, ce que notre héros, qui avait toujours été assez bon piéton, refusait sans cesse, pour montrer à son guide qu’il ne craignait pas de se mouiller les pieds ; il voulait, il est vrai, sans trop d’affectation, ôter à Evan l’opinion qu’il avait des habitants des basses terres, et particulièrement des Anglais, qu’il regardait comme des gens efféminés.

À travers la gorge de ce vallon, ils arrivèrent à une fondrière d’une dimension effrayante, pleine de larges ouvertures qu’ils franchirent avec beaucoup de difficulté et de danger, par des chemins que les montagnards seuls avaient suivis jusque-là. Le sentier, ou plutôt la portion de terre un peu solide où nos deux voyageurs marchaient tantôt à sec, tantôt dans l’eau, était rude, rompu, et dans beaucoup d’endroits marécageux et peu sûr. Quelquefois même ils étaient obligés de s’élancer d’un talus sur un autre, en franchissant un espace où un homme eût probablement disparu. Ce n’était qu’un jeu pour les Highlandais, qui portaient des brogues à semelles minces faites pour de tels chemins, et faisaient