Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fergus ne manqua pas de mettre en avant que mon père était sous sa bannière, et qu’il lui payait un tribut. Mon père devint furieux : il ignorait que ce fût vrai, car le bailli Mac Weeble, qui administre à sa manière, avait jugé à propos de lui faire un mystère du black-mail, et de le compter sur d’autres dépenses. Il y aurait eu combat singulier, si Fergus Mac-Ivor n’eût pas dit avec politesse qu’il ne lèverait point la main sur une tête à cheveux blancs aussi respectable que celle de mon père. Ah ! que n’ont-ils continué à vivre en bonne intelligence ! » — « Avez-vous quelquefois vu ce M. Mac-Ivor ? n’est-ce pas son nom, miss Bradwardine ? » — « Ce n’est pas son nom ; il ne vous pardonnerait de l’appeler master, que parce que vous êtes Anglais et que vous ne pouvez en savoir davantage ; ce titre est un affront pour lui. Les habitants des basses terres l’appellent du nom de son manoir, Glennaquoich ; et les montagnards l’appellent Vich-Jan-Vohr, c’est-à-dire, fils de Jean-le-Grand ; et nous, qui habitons le revers de la montagne, nous lui donnons tantôt un nom, tantôt l’autre. » — « Je crains bien que ma langue anglaise ne puisse venir à bout de lui donner l’un ou l’autre. » — « C’est un homme très-honnête, et d’une jolie figure, ajouta Rose ; et sa sœur Flora passe pour la jeune personne la plus remarquable du pays par sa beauté et ses talents. Elle a été élevée dans un couvent de France ; elle était mon amie particulière avant cette malheureuse dispute. Cher capitaine Waverley, usez, je vous en prie, de votre crédit sur l’esprit de mon père pour le porter à régler cette affaire ? Je suis bien sûre que nous ne sommes qu’au commencement de nos tribulations ; le manoir de Tully-Veolan n’a jamais été sûr ni paisible lorsque nous avons été mal avec les montagnards. J’avais à peu près dix ans, quand il y eut, derrière la ferme, un combat entre vingt de ces hommes et mon père à la tête de ses domestiques. Trois montagnards furent tués ; on les enveloppa dans leurs plaids ; on les déposa sur le pavé de la grande salle, et le lendemain leurs femmes et leurs filles vinrent, et, se tordant les mains, poussant des gémissements et chantant le coronach[1], elles emportèrent les morts, précédées par les joueurs de cornemuse. Je ne pus dormir de six semaines ; je croyais toujours entendre leurs cris de douleur ; j’avais toujours devant les yeux ces corps étendus sur la pierre et recouverts de tartans ou draps sanglants. Depuis ce temps, un détachement de la garnison de Stirling vint

  1. Chant de mort des montagnards.