Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/148

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d’autant plus chers, qu’elle les partageait avec quelqu’un qui avait des goûts semblables. L’empressement d’Édouard à commenter, à réciter, à expliquer les passages difficiles, lui rendait sa société d’un prix inestimable, et la tournure romanesque et sauvage de son esprit enchantait une jeune fille qui avait trop peu d’expérience pour en remarquer les défauts. Lorsque le sujet le touchait, et qu’il se trouvait tout à fait à son aise, Waverley avait cette éloquence naturelle, animée et quelquefois brillante, qui est plus puissante sur un cœur de femme que la figure, les manières, la réputation et la fortune, ce qui mettait nécessairement dans un danger croissant la paix du cœur de la pauvre Rose, danger qui était d’autant plus imminent que son père était trop profondément plongé dans ses études abstraites, et regardait comme au-dessous de sa dignité de s’occuper de ce que faisait sa fille. Les femmes de la maison de Bradwardine étaient, à son avis, comme celles de la maison de Bourbon ou d’Autriche, placées bien au-dessus des nuages des passions qui pouvaient obscurcir l’esprit des femmes d’une naissance vulgaire ; dans son opinion, elles vivaient dans une autre sphère, se gouvernaient par d’autres sentiments, se soumettaient à d’autres règles ; en un mot, le baron de Bradwardine ferma si bien les yeux sur la conséquence naturelle des rapports qui s’étaient établis entre Édouard et sa fille, que tout le voisinage en conclut qu’il avait calculé tous les avantages d’un mariage entre Rose et le jeune et riche Anglais, et le proclamait moins fou qu’il ne l’avait été jusque-là dans ses affaires d’intérêt.

— Si le baron cependant eût réellement songé à cette alliance, l’indifférence de Waverley eût été un obstacle insurmontable pour son projet. Depuis que notre héros avait vu un peu le monde, il s’était mis à rougir de sa passion pour sa légende mentale de sainte Cécile, et les réflexions qu’il fit à ce sujet l’empêchèrent pendant quelque temps de s’abandonner à la disposition naturelle qu’il avait à s’enflammer. Outre cela, Rose Bradwardine, quelque belle et aimable qu’elle fût, n’avait pas précisément le genre de beauté et de mérite qui captive une imagination romanesque dans la première jeunesse : elle était trop franche, trop confiante, trop bonne ; qualités précieuses sans doute, mais qui repoussent tout le merveilleux dont un jeune homme d’une tête vive et fantasque aime à revêtir l’objet de son affection. Lui était-il possible de soupirer, de trembler et d’adorer, devant la