Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/146

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tiens avec la fille du baron, qui prenait le plus grand plaisir à écouter ses réflexions sur la littérature, et montrait elle-même un jugement exquis dans ses réponses. La douceur de son caractère l’avait fait se soumettre avec complaisance, et même avec plaisir, à des lectures que son père lui avait prescrites, quoiqu’il lui eût donné à lire quelques lourds in-folio sur l’histoire, et même d’énormes ouvrages de polémique religieuse ; quant au blason, il s’était heureusement contenté de lui en donner une légère teinture, en mettant entre ses mains les deux in-folio de Nisbet.

Le baron aimait sa fille comme la prunelle de ses yeux : son amabilité continuelle, son empressement à faire toutes ces choses qui plaisent d’autant plus qu’on ne penserait pas à les demander, sa beauté, qui rappelait au baron les traits d’une épouse bien-aimée, sa piété vraie, et sa noble générosité, auraient justifié l’affection du plus tendre des pères.

Son amour pour sa fille n’allait pas cependant jusqu’où s’étend généralement la prévoyance paternelle, c’est-à-dire jusqu’à s’occuper de son avenir en lui assurant un riche douaire, ou en lui faisant faire un mariage avantageux. Tous les biens territoriaux du baron devaient, en vertu d’une ancienne substitution, passer après sa mort à un parent éloigné, et on pensait qu’il ne resterait que bien peu de chose à miss Bradwardine, car l’argent comptant du brave gentilhomme avait été trop long-temps aux mains du bailli Mac Wheeble pour que l’on pût attendre grand’chose de ce côté. Il est vrai que le bailli aimait beaucoup son maître et la fille de son maître, mais moins qu’il ne s’aimait lui-même. Il avait pensé qu’il pourrait faire annuler la substitution établie en faveur de la descendance mâle, et s’était même procuré à cet effet, sans payer, comme il s’en vantait, un avis signé d’un habile avocat d’Écosse ; il était parvenu à le faire prononcer sur cette question en le consultant sur quelque autre affaire. Mais le baron ne voulait point écouter une telle proposition ; au contraire, il se faisait un plaisir cruel de mettre en avant que la baronnie de Bradwardine était un fief mâle, et que ce fief avait été établi à une époque où les femmes étaient considérées comme inhabiles à être feudataires, vu que, suivant les coutumes de Normandie, c’est l’homme ki se bast et ki conseille, ou, comme le disent quelques autorités moins galantes encore, dont il se plaisait à citer les noms barbares, vu que, par décence, une femme ne peut aller avec le sei-