Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le plus honteux. C’était peut-être à ce sentiment de la poésie, et à ce talent d’en fondre l’expression avec l’expression musicale, qu’elle devait de faire plus de plaisir par son chant aux personnes qui ne savaient pas une note de musique, et même à un grand nombre de connaisseurs, que ne leur en avaient fait éprouver de plus belles voix, une plus brillante exécution, qui n’étaient point accompagnées d’une aussi exquise sensibilité que la sienne.

Une bartesane, ou balcon devant les fenêtres du salon, servait à montrer une autre occupation favorite de Rose ; il était garni de fleurs de différentes espèces, qu’elle prenait soin de cultiver elle-même. On allait à ce balcon gothique par une tourelle d’où l’on découvrait une vue magnifique. Le jardin proprement dit, avec ses hautes murailles, situé au-dessous, ne paraissait de cette élévation qu’un simple parterre. Plus loin on apercevait un vallon boisé, où une petite rivière de temps en temps se montrait, et de temps en temps se cachait sous les taillis. Les regards pouvaient se reposer avec plaisir sur des rochers qui élevaient çà et là au-dessus des bois touffus leurs cimes massives ou pointues, ou sur une vieille et noble tour, qui du haut d’un promontoire mirait ses ruines vénérables dans le cristal du ruisseau. À gauche, on voyait deux ou trois chaumières, une partie du village ; le revers de la colline cachait le reste. Ce vallon verdoyant se terminait par une nappe d’eau appelée Lock-Feolan, où le ruisseau allait se jeter, et qui réfléchissait en ce moment les rayons étincelants du soleil couchant. Le pays au-delà semblait ouvert et varié, quoique non boisé ; et la vue n’était arrêtée que par une barrière bleue et éloignée, qu’une chaîne de montagnes formait du côté du midi à l’extrémité de la vallée. C’était dans cette ravissante position que miss Bradwardine avait fait apporter le café.

La vue de la vieille tour ou forteresse suggéra au baron quelques anecdotes de famille, quelques histoires de chevalerie écossaise, qu’il raconta avec un véritable enthousiasme. Le sommet d’un roc menaçant qui l’avoisinait avait reçu le nom de Chaise de Saint-Swithin : c’était le théâtre d’un conte superstitieux, sur lequel M. Rubrick donna quelques curieux détails qui rappelèrent à Waverley un couplet cité par Edgar dans le Roi Lear ; et Rose fut invitée à chanter une courte légende composée par quelque poète villageois


« Obscur comme ses aïeux,
Et qui, sauvant plus d’une vie