Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/123

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il avala respectueusement tout le contenu de l’ours béni de Bradwardine.

Édouard fut épouvanté de voir l’ours faire le tour de la table, et ne put s’empêcher de penser avec inquiétude à la devise : Gare l’ours ! Mais voyant qu’aucun des convives ne se faisait scrupule de lui rendre l’honneur extraordinaire que lui avait rendu le baron, et qu’un refus de sa part pouvait être très-mal reçu, il se résigna à subir ce dernier acte de tyrannie, et à quitter ensuite la table, s’il était possible ; et, se fiant à la force de sa constitution, il vida comme tout le monde l’ours béni, et supporta mieux cette libation qu’il ne s’y était attendu. Les autres convives, qui avaient employé leur temps beaucoup plus activement, commencèrent à donner des signes du changement qui s’opérait en eux ;

« Le bon vin fit son bon office[1]. »

Le froid de l’étiquette et l’orgueil de la naissance s’évanouirent devant l’influence de l’heureuse constellation, et les titres cérémonieux que les trois dignitaires s’étaient adressés jusque-là se changèrent dans les abréviations familières de Tully, Bailli et Killie. Quand l’ours eut fait plusieurs fois le tour de la table, ces deux derniers, après s’être parlé bas, proposèrent (à la grande satisfaction d’Édouard) le coup de grâce. La chose eut lieu après quelques retards, et Waverley en conclut que les orgies de Bacchus étaient finies pour ce soir. Jamais il ne s’était plus complètement trompé.

Comme les convives avaient laissé leurs chevaux à la petite auberge ou Change-house, comme on dit dans le pays, le baron ne pouvait, sans manquer à la politesse, ne pas les reconduire jusqu’au bout de l’avenue ; et, soit par le même motif ou pour respirer l’air frais d’une soirée d’été, dont il croyait avoir besoin après un repas aussi échauffant, Waverley les accompagna. Mais quand ils arrivèrent chez la mère Macleary, les lairds de Balmawhapple et de Killancureit déclarèrent qu’ils désiraient témoigner au seigneur de Tully-Veolan leur gratitude pour la manière dont il les avait reçus, et qu’ils espéraient que le noble baron et son hôte, le capitaine Waverley, voudraient bien boire avec eux ce qu’ils appelèrent, en termes du pays, deoch an doruis,

  1. Madoc, poëme de Southey. a. m.