Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/106

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ceux qui ne s’occupent pas, semblait animer peu les habitants du village de Tully-Veolan : elle n’était active que chez les chiens dont nous avons parlé plus haut ; elle était tout à fait passive chez les villageois. Ils s’arrêtaient bien sur les portes de leurs chaumières pour voir passer le jeune officier et son domestique, mais sans aucun de ces gestes, de ces regards qui annoncent le plaisir que ceux qui mènent une vie monotone trouvent ordinairement dans une distraction inattendue. Cependant la physionomie de ces gens-là, à l’examiner attentivement, était loin d’exprimer l’indifférence de la stupidité ; leurs traits étaient durs, mais spirituels ; sérieux, mais expressifs ; et parmi les jeunes femmes, un artiste en eût trouvé plus d’une dont la beauté et l’expression de physionomie lui eussent pu servir de modèle pour une Minerve. Les enfants, quoique le soleil eut bruni leur peau et blanchi leur chevelure, avaient aussi un air intéressant. En un mot, il semblait que la pauvreté et l’indolence, qui n’est que trop souvent sa compagne, s’étaient réunies pour dégrader le génie naturel et les connaissances acquises de paysans courageux, intelligents et réfléchis.

Toutes ces pensées se croisaient dans l’esprit de Waverley, pendant qu’il suivait lentement le chemin raboteux et pierreux de Tully-Veolan ; pensées qui n’étaient interrompues que par les sauts de son cheval, lorsqu’il était attaqué par ces cosaques de la race canine, les collies dont il a déjà été question. Le village avait plus d’un demi-mille de long, les chaumières étant irrégulièrement situées de chaque côté de la route, et séparées par des jardins ou cours (comme on dit dans le pays), plantés de différentes manières, où l’on ne voyait pas encore, il y a soixante ans, la pomme de terre, aujourd’hui si répandue, mais où l’on remarquait des plants de gigantesques kales ou choux, entourés de buissons d’orties, et qui offraient çà et là aux regards la haute ciguë ou le chardon national ombrageant le coin d’un petit clos. On n’avait point nivelé le terrain inégal sur lequel était bâti le village, de sorte que ces enclos présentaient des hauteurs, des bas-fonds de toute espèce ; ici des collines, là comme des fosses de tanneur. Entre les murailles de pierres sans ciment qui protégeaient ou plutôt avaient l’air de protéger les bizarres jardins de Tully-Veolan, tant les brèches étaient en grand nombre, passait un sentier étroit qui conduisait au champ communal, où les villageois, unissant leurs travaux, semaient alternativement du