Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ments divers, dont le principal était une grave impression d’inquiétude de se voir abandonné à lui-même, quitta le château, au milieu des bénédictions et des larmes de tous les vieux domestiques et des habitants du village, qui lui remirent des demandes de grades de sergents et de caporaux, en déclarant qu’ils n’auraient pas laissé s’enrôler Jacques, Gilles et Jonathan, si ce n’avait été pour accompagner Son Honneur, comme c’était de leur devoir. Comme c’était aussi de son devoir, Édouard se débarrassa des solliciteurs avec des promesses, moins toutefois qu’on eût pu en attendre d’un jeune homme qui ne connaissait pas encore le monde. Après avoir passé peu d’instants à Londres, il poursuivit sa route à cheval (manière générale de voyager alors) jusqu’à Édimbourg, et de là à Dundee, port de mer sur la côte orientale de l’Angus-shire, où son régiment était en garnison.

Il entra alors dans un autre monde, où, pour un temps, tout lui parut beau, parce que tout était nouveau. Le colonel Gardiner, qui commandait le régiment, était lui-même une étude pour un jeune homme à la fois romanesque et curieux. Quoique déjà d’un âge avancé, il était grand, beau et actif ; dans sa jeunesse, il avait été ce qu’on appelle honnêtement un joyeux vivant, et d’étranges bruits couraient sur son passage soudain du doute, sinon de l’incrédulité, à une religion sévère et même enthousiaste. On disait que ce changement merveilleux venait d’une révélation surnaturelle qui s’était manifestée aux sens extérieurs ; et beaucoup de monde regardait le prosélyte comme un illuminé, et personne ne le considérait comme un hypocrite. Cette histoire singulière et mystérieuse inspira au jeune officier un sentiment particulier et solennel d’intérêt pour le colonel Gardiner[1]. On con-

  1. « J’ai, dit Walter Scott, mis dans cette édition le nom entier de ce brave et excellent officier, et je rapporterai, ajoute-t-il, le récit extraordinaire de sa conversion, relaté par le docteur Doddrige.
    « Cet événement mémorable arriva au mois de juillet 1710. Le major avait passé la soirée (et, si je ne me trompe, dit le pieux écrivain, c’était un samedi) en joyeuse compagnie ; il avait donné à une femme mariée un rendez-vous qui devait avoir lieu à minuit. Ses amis le quittèrent à onze heures ; et ne trouvant pas à propos de se rendre le premier au lieu convenu, il alla dans sa chambre pour tuer l’ennui de l’heure d’attente avec quelque livre amusant, ou autrement. Mais il arriva par hasard qu’il tomba sur un livre religieux que sa bonne mère ou sa tante avait glissé, sans qu’il le sût, dans son porte manteau ; il avait, je crois, pour titre le Soldat chrétien, ou le Ciel pris d’assaut, et pour auteur M. Thomas Watson. Pensant, d’après le titre de l’ouvrage, qu’il y trouverait quelques phrases de sa profession spiritualisées de manière à l’amuser, il se mit à lire sans s’inquiéter de ce que renfermait le livre ; mais cette lecture fit sur son esprit (Dieu seul peut-être sait comment) une impression qui eut pour lui les suites les plus importantes et les plus heureuses. Il crut