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« Notre or, dit le moine, s’est changé en cuivre, notre argent en plomb, notre sagesse en folie. Soumettons-nous à la volonté de celui qui confond les conseils du sage, et qui raccourcit le bras du puissant. À la chapelle, à la chapelle, lady Éveline ! et, au lieu de pousser de vains gémissements, prions Dieu et les saints d’apaiser leur colère, et de sauver ce faible reste de la gueule du loup dévorant. »

À ces mots, il conduisit Éveline à la chapelle, en la soutenant, car elle était hors d’état de penser et d’agir. Arrivée devant l’autel, elle se prosterna, prenant au moins l’attitude de la dévotion ; mais ses lèvres murmuraient machinalement des paroles pieuses, et ses pensées étaient sur le champ de bataille, auprès du corps de son père massacré. Les autres infortunés s’agenouillèrent aussi comme leur jeune maîtresse, mais portant aussi leurs pensées au-delà du lieu saint. La certitude qu’une grande partie de la garnison avait été massacrée dans la sortie imprudente de Raymond ajoutait encore à la crainte que leur inspirait leur danger personnel, qu’ils s’exagéraient en pensant aux cruautés trop souvent exercées par l’ennemi, qui n’épargnait, dit-on, ni le sexe ni l’âge.

Le moine prit le ton d’autorité que son caractère lui donnait ; il blâma des plaintes et des lamentations inutiles, et croyant les avoir amenés à une disposition d’esprit conforme à leur situation, il les laissa se livrer à leurs dévotions particulières, désirant satisfaire sa curiosité, et s’assurer des moyens de défense que présentait le château. Sur les remparts extérieurs, il trouva Wilkin Flammock, qui, après avoir rempli l’office d’un bon et habile capitaine, dans la direction de l’artillerie, et repoussé, comme nous l’avons vu, l’avant-garde de l’ennemi, distribuait à sa petite garnison d’abondantes portions de vin.

« Prends garde, bon Wilkin, dit le père, de ne point commettre d’excès dans tes fonctions. Le vin, tu le sais, est comme le feu et l’eau, un excellent serviteur, mais un mauvais maître[1].

— Il se passera bien du temps avant qu’il attaque le cerveau froid de mes compatriotes, dit Wilkin Flammock. Notre courage flamand ressemble à nos chevaux ; à ceux-ci, il faut l’éperon, à celui-là du vin ; mais, croyez-moi, mon père, notre race endurcie n’est pas de nature à céder facilement ; cependant, en supposant même que je donnasse à ces drôles un peu plus de vin qu’il ne

  1. Wine is, like fire and water, an excellent servant, but a very bad master.