Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/41

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et il me comprit. Eh ! que me sert de tenir ma parole à la lettre, si je n’en observe pas le sens. Nous ne quitterons le château que quand le dernier Gallois aura traversé le pont ; et alors…

— Et alors, ajouta Denis, nous marcherons à la mort. Que Dieu nous pardonne nos péchés ! mais…

— Mais quoi ? dit Berenger ; une pensée occupe ton esprit, quelle est-elle ?

— Ma jeune maîtresse, votre fille, lady Éveline…

— Je lui ai dit ce dont il s’agissait. Elle restera dans le château où je laisserai quelques vétérans choisis, commandés par vous, Denis. Vingt-quatre heures après, le siège sera levé : nous avons défendu ces remparts plus long-temps avec une plus faible garnison. Alors, Denis, vous la placerez avec honneur et sécurité entre les mains de sa tante, abbesse des bénédictines ; et ma sœur fera, pour l’avenir d’Éveline, tout ce que sa sagesse lui dictera.

— Moi, vous laisser dans une telle extrémité ! » dit Denis Morolt, fondant en larmes. « Moi, me renfermer dans le château, tandis que mon maître se prépare à livrer sa dernière bataille ! Moi, devenir l’écuyer d’une femme, quoique cette femme soit lady Éveline, lorsque vous tomberez privé de vie sur votre bouclier ! Raymond Berenger, est-ce ainsi que vous récompensez celui qui si souvent vous a couvert de votre armure ? »

Les larmes qui tombaient le long des joues du vieux guerrier étaient aussi abondantes que celles que répand une jeune fille déplorant la perte de son amant, et Raymond lui prenant affectueusement la main, lui dit d’une voix émue : « Ne pense pas, mon vieux, mon cher serviteur, que je t’arrêterais s’il y avait de l’honneur à acquérir. Mais l’action que je vais faire en ce jour est inconséquente, inconsidérée, et cependant mon destin ou ma folie me force à l’accomplir. Je perdrai la vie pour sauver mon nom du déshonneur ; mais, hélas ! je laisse ma mémoire exposée au reproche d’imprudence.

— Ah ! laissez-moi partager votre imprudence, mon très-cher maître, » s’écria Denis Morolt avec véhémence ; « à quoi sert à un pauvre écuyer d’être regardé comme plus sage que son maître ?… Dans bien des batailles on parla de ma valeur, parce qu’alors je prenais part aux exploits qui fondèrent votre renommée ; eh bien, aujourd’hui ne me refusez pas le droit de partager le blâme que votre témérité s’expose à encourir, qu’on ne dise pas : Son