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dire si c’était celui d’un fidèle domestique agité des mauvaises nouvelles qui vont affliger son maître, ou celui d’un bourreau qui tient le couteau suspendu sur sa victime afin de le mieux ajuster. Dans l’esprit de Guarine, prévenu peut-être par l’opinion qu’il avait de Vidal, ce dernier sentiment l’emportait tellement sur l’autre, qu’il lui tardait de lever son gourdin pour terrasser le serviteur qui semblait ainsi jouir des souffrances prolongées de son maître.

Enfin un mouvement convulsif agita le front du connétable, et Guarine, quand il aperçut un sourire sardonique qui commençait à contracter la lèvre de Vidal, ne put garder le silence plus longtemps. « Vidal, dit-il, tu es un…

— Un porteur de mauvaises nouvelles, » dit Vidal en l’interrompant ; par conséquent sujet à la mauvaise interprétation du sot qui ne sait pas distinguer l’auteur du mal de celui qui le répète malgré lui.

— Pourquoi ce délai ? dit le connétable. Allons, sire ménestrel, je vais vous épargner cet embarras… Éveline m’a oublié. »

Le ménestrel fit un signe affirmatif.

Hugo de Lacy se tourna vers le monument de pierre, cherchant à vaincre l’émotion profonde qu’il éprouvait. « Je lui pardonne, dit-il ; pardonne, ai-je dit ?… Hélas ! je n’ai rien à pardonner : elle n’a usé que du droit que je lui ai laissé… Oui, l’époque de notre engagement était passée ; elle a appris mes pertes, mes défaites, la chute de mes espérances, l’épuisement de ma fortune, et a saisi la première occasion que la loi sévère lui fournissait pour rompre son engagement envers un homme abandonné de la fortune et de la renommée… Plus d’une femme en aurait fait autant, ou peut-être prudemment aurait dû le faire ; mais le nom de cette femme ne devrait pas être Éveline Berenger. »

Il s’appuya sur le bras de son écuyer, et pendant quelques moments laissa tomber sa tête sur son épaule avec une émotion que Guarine ne lui avait jamais vue, et que par une bonté maladroite, il chercha à tempérer en lui disant « d’avoir bon courage… qu’après tout il n’avait perdu qu’une femme.

— Mon émotion n’est pas de l’égoïsme, Philippe, » dit le connétable en reprenant son maintien calme ; « je m’afflige moins de ce qu’elle m’a quitté, que de ce qu’elle m’a si mal jugé… de ce qu’elle m’a traité comme l’usurier traite son misérable débiteur, quand il saisit le gage dès que l’instant où on aurait dû le retirer