Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/121

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que Notre Dame de Miséricorde voulût me faire payer sa protection par un hymen avec un homme que je ne pourrais aimer. Elle sourit, dites-vous, quand vous lui adressâtes votre prière : allez mettre à ses pieds les difficultés qui vous inquiètent, et vous verrez si elle ne sourira pas encore ; ou cherchez à vous faire relever de votre vœu. Obtenez une dispense au prix de la moitié de vos biens, fût-ce même de votre fortune entière ; faites, pieds nus, le pèlerinage de Rome ; faites tout au monde plutôt que de donner votre main sans votre cœur.

— Vous parlez avec chaleur. Rose, » dit Éveline en soupirant. « Hélas ! ma chère maîtresse, c’est avec cause. N’ai-je pas vu un ménage d’où l’amour était banni, où, quoiqu’il y eût des vertus, de bonnes intentions, et une fortune suffisante, tous ces biens se trouvaient empoisonnés par des regrets non-seulement inutiles, mais même criminels.

— Cependant il me semble, Rose, que le sentiment de ce que nous devons à nous-mêmes et aux autres, si nous voulons l’écouter, peut nous guider et nous soutenir même dans la situation que tu viens de décrire.

— Il peut nous épargner de la honte, mais non de la douleur, répondit Rose. Et pourquoi nous précipiter les yeux ouverts dans des circonstances où le devoir doit être en guerre avec l’inclination ? pourquoi vouloir ramer contre le vent et le courant, quand vous pouvez profiter si facilement de la brise ?

— Parce que le voyage de ma vie est en opposition avec les vents et le courant, répondit Éveline. C’est ma destinée, Rose.

— Elle n’est telle que parce que vous le voulez bien, répondit Rose. Oh ! si vous aviez pu voir les joues pâles, les yeux enfoncés et l’air abattu de ma pauvre mère !… Hélas ! j’en ai trop dit.

— Vous parliez donc de votre mère, dit sa jeune maîtresse, quand vous m’avez peint cette union malheureuse ?

— Hélas ! oui, c’était d’elle, dit Rose en fondant en larmes : j’ai découvert ma honte pour vous préserver du malheur. Quoique innocente, elle fut la plus infortunée des femmes ; si infortunée, que, sans sa fille, la rupture de la digue et l’inondation dans laquelle elle périt eussent été pour elle ce qu’est le repos de la nuit au laboureur fatigué. Elle avait un cœur comme le vôtre, créé pour aimer et pour être aimé : ce serait faire honneur à ce fier baron que de lui accorder autant de bonnes qualités que mon