Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/113

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destinée, si toutefois il jugeait à propos de le devenir. Elle fatiguait vainement sa mémoire, afin de se rappeler les traits de son visage pour se faire une idée de son humeur, et vainement elle se torturait l’esprit pour deviner les desseins qu’il pouvait avoir sur elle.

Cependant les préparatifs que l’on faisait annonçaient que le célèbre baron semblait attacher à cette entrevue un certain degré d’importance. Éveline s’était imaginé que le connétable pouvait en cinq minutes se rendre aux portes du château, et que si le décorum exigeait qu’un pavillon fût dressé pour les recevoir l’un et l’autre, une tente pouvait être transportée du camp aux portes du château, et préparée en dix minutes au plus. Mais on vit clairement que le connétable regardait l’étiquette et la cérémonie comme essentielles à leur entrevue, car une demi-heure après le retour de Damien, au moins vingt soldats et ouvriers, sous la direction d’un sergent, dont la cotte d’armes était ornée des armoiries de Lacy, commencèrent à élever à la porte du château un de ces pavillons splendides employés dans les tournois et autres circonstances pareilles. Il était en soie pourpre brochée en or, avec des cordons semblables. La porte était formée par six lances, dont le bois était recouvert d’argent et la pointe du même métal. Elles étaient enfoncées dans la terre deux par deux, et croisées au sommet, de manière à représenter une espèce de voûte couverte d’une soie verte en forme de draperie, qui contrastait agréablement avec la pourpre et l’or.

L’intérieur de la tente, d’après la déclaration de dame Gillian et autres commères qui n’avaient pu résister au désir de la visiter, était d’une magnificence qui répondait à la richesse de l’extérieur. On y voyait des tapis d’Orient, ainsi que des tapisseries de Cassel et de Bruges. Le plafond, couvert d’une soie bleu de ciel, imitait le firmament ; le soleil, la lune et les étoiles y étaient représentés en argent massif. Ce célèbre pavillon avait été fait pour le fameux Guillaume d’Ipres, qui avait acquis tant de richesses comme général des troupes mercenaires du roi Étienne, qui l’avait créé comte d’Albemarle. Mais les hasards de la guerre l’avaient fait tomber dans les mains de Lacy, après un de ces sanglants combats comme il s’en livra pendant les guerres civiles entre Étienne et l’impératrice Maude ou Mathilde. On ne se rappelait pas que le connétable en eût jamais fait usage, car, quoique riche et puissant, Hugo de Lacy était, dans bien des occasions, simple