Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/107

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même temps l’index sur sa lèvre inférieure, pour qu’il observât le silence et le secret. Se séparant alors de la foule, elle se retira derrière un arc-boutant, comme pour éviter la presse qui devait avoir lieu dans la chapelle au moment où le cercueil y serait porté. Le marchand ne manqua pas de suivre son exemple, et se rendit immédiatement à ses côtés ; mais elle lui évita la peine de parler de son commerce, et entra immédiatement en matière. « J’ai entendu tout ce que vous avez dit à la dame Marguerite la bégueule, car c’est ainsi que je l’appelle ; j’ai entendu… c’est-à-dire j’ai deviné tout ce que je n’ai pu entendre ; car j’ai un œil dans la tête, je vous assure.

— Ah ! ma belle dame, vous en avez deux, et tout aussi brillants que des gouttes de rosée dans un jour de printemps.

— Oh ! vous dites cela parce que j’ai pleuré, » dit dame Gillian aux bas écarlates, car c’était elle qui parlait ; « et si j’ai pleuré, certainement ce n’est pas sans raison, car notre seigneur était toujours si bon pour moi ; quelquefois même il me passait la main sous le menton, m’appelant aimable Gillian de Croydon, non pas que le brave gentilhomme fût jamais incivil à mon égard ; car alors il ne manquait pas de me glisser dans la main une pièce de monnaie. Oh ! quel ami j’ai perdu là ! et cependant il m’a fait mettre plus d’une fois en colère : par exemple, quand je voyais le vieux Raoul piquant comme le vinaigre, et bon seulement à rester tout le jour dans son chenil. Mais, comme je lui disais, pouvais-je donc faire injure à notre maître et à un grand baron, parce qu’il me passait la main sous le menton, ou me prenait un baiser, ou me faisait quelque autre caresse ?

— Je ne suis point étonné du chagrin que vous cause la mort d’un si brave maître, madame, dit le marchand.

— Cela n’est point étonnant, en effet, » répliqua la dame en soupirant ; « car, enfin, qu’allons-nous devenir ? il est probable que ma jeune maîtresse ira chez sa tante ou qu’elle épousera un de ces Lacy dont on parle tant, ou enfin qu’elle quittera le château ; et il est probable alors qu’on nous enverra paître, Raoul et moi, avec les vieux chevaux de notre défunt maître. Dieu sait qu’on ferait tout aussi bien de le pendre avec les vieux chiens, car il ne peut ni mordre ni marcher, et n’est bon à rien, sur la terre, du moins que je sache.

— Votre jeune maîtresse est cette dame en deuil qui voulait tout à l’heure se précipiter sur le cadavre ? demanda le marchand.