Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/104

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sons dévastées, leurs habitations pillées ; des veuves et des orphelins cherchaient sur cette scène de carnage les cadavres de leurs époux et de leurs pères. Ainsi les plaintes poignantes des malheureux se mêlaient aux cris d’allégresse et de triomphe, et la plaine de Garde-Douloureuse pouvait servir de parallèle à la confusion variée de la vie humaine, où la joie et le chagrin sont entremêlés, et où l’allégresse et le plaisir sont souvent bien près de l’affliction et de la mort.

Vers le milieu du jour, tous ces divers bruits cessèrent, et l’attention de ceux qui se réjouissaient, ainsi que de ceux qui se lamentaient, fut distraite par le son triste et éclatant de six trompettes qui, élevant et unissant leurs sons lugubres pour entonner un chant de mort, annoncèrent à tous que les funérailles du vaillant Raymond allaient commencer. Douze moines noirs d’un couvent voisin sortirent alors deux à deux d’une tente qui avait été élevée à la hâte pour recevoir le corps de l’illustre baron. À leur tête marchait leur supérieur, portant une énorme croix et chantant à haute voix le cantique sublime du catholicisme, le Miserere meî, Domine. Après eux venait un corps d’élite d’hommes d’armes ; la pointe de leurs lances était renversée et dirigée vers la terre. Suivait enfin le corps du vaillant Berenger, entouré de sa propre bannière qui, reprise aux Gallois, servait alors de drap funéraire à celui qui la possédait naguère. Les plus braves chevaliers de la maison du connétable (car, ainsi que plusieurs grands de l’époque, il s’était créé une sorte de cour, rivalisant presque avec celles des rois ; formaient le deuil et supportaient le cadavre qui avait été placé sur des lances. Le connétable de Chester lui-même, seul, couvert de ses armes et la tête découverte, commandait aux personnes qui composaient le deuil. Un corps choisi d’écuyers, d’hommes d’armes et de pages de noble race, fermait le cortège. Des trompettes et des cors répondaient par intervalles aux chants mélancoliques des moines, par des accents tristes et non moins lugubres.

L’élan du plaisir fut donc arrêté, et les infortunés qui se livraient à la douleur suspendirent un instant le cours de leurs larmes pour être témoins des derniers honneurs rendus à celui qui, pendant sa vie, avait été le père et le soutien de ses sujets.

Le lugubre cortège traversa à pas lents la plaine où, dans l’espace de quelques heures, s’étaient passés tant d’événements di-