Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/98

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charger leurs voitures à une mine de charbon du voisinage, et qui ne manquaient pas d’augmenter leur charge ordinaire de quelques centaines de livres, dès qu’ils avaient pu se procurer un cheval un peu plus fort que celui qu’ils avaient crevé la veille. Quelque raisonnable que parût ce calcul au laird de Dumbiedikes, il aurait dû réfléchir que ce moyen peut ne pas réussir, et qu’il occasionne presque toujours la mort du cheval, ainsi que la perte du chariot et du chargement. Ce fut précisément ce qui arriva quand on imposa à Benjamin Butler une redevance plus forte. Sachant à peine parler, à peine penser, mais attaché au domaine de Beersheba comme une plante à la terre où elle se trouve jetée par le hasard, il ne fit aucune remontrance au laird, n’essaya point de lui échapper ; mais, travaillant nuit et jour pour remplir ses engagements envers son maître, il tomba malade d’une fièvre chaude, et mourut. Sa femme le suivit de près ; et comme si c’eût été le destin de tous les hommes de cette famille, notre Reuben Butler, en 1704 ou 1705, se trouva orphelin comme l’avait été son père, et confié aux soins de sa grand’mère, la veuve du vieux soldat de Monk.

La même perspective de misère menaçait un autre fermier de ce gentilhomme au cœur de fer. C’était un véritable et sincère presbytérien, appelé Deans, qui, quoique loin d’être dans les bonnes grâces du laird à cause de ses principes religieux et politiques, était parvenu à conserver sa ferme en payant avec exactitude les redevances, les loyers, les intérêts, les corvées, les droits de mouture, les prestations, les amendes, et autres exactions qui se paient aujourd’hui en argent et sont désignées par le mot emphatique de rentes. Mais les années 1700 et 1701, si longtemps fameuses en Écosse pour la disette et la détresse générale, épuisèrent les moyens du laboureur whig. Dès lors citations de par l’agent des redevances, arrêt de la cour des barons, saisies, confiscations de tous genres sifflèrent à ses oreilles, comme les boulets des royalistes avaient sifflé à celles des covenantaires dans les journées de Pentland, de Bothwell, d’Air-Moss. Malgré tout son courage, et il en avait beaucoup, Douce Davie Deans, battu à pied et à cheval, resta à la merci de son avare seigneur, à l’époque même de la mort de Benjamin Butler. Chacun prévoyait le sort des deux familles, mais ceux qui s’attendaient à les voir chassées, dépouillées, ruinées, furent trompés dans leurs calculs par un événement inattendu.