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tendis une personne qui proposait des poulets ; j’allai les marchander. C’était une petite vieille qui paraissait encore alerte, et âgée de soixante-dix à quatre-vingts ans ; elle portait un plaid de tartan ; elle avait par-dessus son bonnet un capuchon de soie noire qui s’attachait sous son menton, sorte de coiffure fort en usage parmi les vieilles femmes écossaises de cette condition ; ses yeux étaient noirs, extraordinairement vifs et spirituels. Je liai conversation avec elle ; je commençai par lui demander ce qu’elle faisait pour vivre, etc.

« Elle me répondit qu’en hiver elle ressemelait les bas, c’est-à-dire qu’elle cousait des semelles aux bas des gens de la campagne ; occupation qui est au métier de tricoteuse de bas à peu près dans le même rapport que le métier de savetier à celui de cordonnier, c’est-à-dire tout à la fois et moins élevé et moins lucratif. Elle enseignait aussi à lire à quelques enfants. Pendant l’été elle élevait des poulets.

« Je lui dis qu’à son visage j’oserais gager qu’elle n’avait jamais été mariée. Elle rit de bon cœur, et me répondit : « Il faut que j’aie la plus singulière figure qui fût jamais, pour que vous ayez envie de gager cela. Mais, dites-moi, madame, ce qui vous a fait penser ainsi. » Je lui répliquai que c’était son air joyeux et serein. « Avec un bon mari, de beaux enfants, et l’abondance de tout ce qui est nécessaire, n’avez-vous pas, reprit-elle, plus de raisons que moi d’être heureuse ? Quant à moi, je suis la plus pauvre d’une classe de gens bien pauvres, et je gagne à grand’peine de quoi me soutenir par les moyens que je vous ai expliqués. » Après quelque temps encore de conversation, durant lequel je fus de plus en plus charmée du bon sens de ses discours et de la naïveté[1] de ses remarques, elle se levait pour partir, quand je lui demandai son nom. Son visage devint sombre, et elle me dit gravement et en rougissant : « Mon nom est Hélène Walker ; mais votre mari me connaît bien. »

« Le soir je ne manquai pas de raconter le plaisir que j’avais eu à causer avec cette vieille femme, et de demander ce qu’il y avait d’extraordinaire dans son histoire. M*** me répondit qu’il n’existait peut-être pas de femme plus remarquable qu’Hélène Walker. Elle était restée orpheline, ayant à sa charge une sœur beaucoup plus jeune qu’elle, qui fut élevée et entretenue par ses soins. On peut imaginer ce qu’elle ressentit en apprenant que

  1. Ce mot est en français dans le texte original. a. m.