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moins dix. Telle qu’elle était pourtant, elle conférait depuis longtemps le titre de capitaine, équivalant à celui de châtelain, aux ancêtres de Duncan, qui étaient vassaux de la maison d’Argyle et avaient joui d’un droit héréditaire de juridiction subalterne qui n’avait pas beaucoup d’étendue, à la vérité, mais qui était d’une grande importance à leurs yeux, et qu’ils exerçaient ordinairement avec une rigueur qui allait même au-delà des prescriptions de la loi.

Le représentant actuel de cette ancienne famille était un petit homme gros et court, d’environ cinquante ans, qui se plaisait à réunir sur sa personne le costume des basses terres et celui des montagnards. Il portait donc sur sa tête une petite perruque noire surmontée d’un grand chapeau retroussé, comme un ferrailleur, et bordé d’un large galon d’or ; le reste de son habillement se composait du plaid et du jupon écossais. Duncan exerçait son autorité sur un district qui appartenait moitié aux montagnes, moitié au plat pays, et on pouvait supposer qu’il cherchait, par ce mélange des habitudes des deux peuples, à montrer son impartialité envers les Grecs et les Troyens. Cette disparate dans son costume, produisait cependant un effet bizarre et assez comique, car sa tête et son corps semblaient appartenir à deux individus différents, et, comme le disait quelqu’un qui avait été témoin de l’exécution des insurgés de 1715, il semblait que quelque magicien jacobite, dans sa précipitation à rappeler ces victimes à la vie, s’était trompé, et avait mis la tête d’un Anglais sur le corps d’un montagnard. Pour achever le portrait du gracieux Duncan, il avait le ton bref, les manières brusques et pleines de hauteur, et la forme de son nez retroussé et couleur de cuivre rouge, indiquait qu’il avait du penchant à la colère et du goût pour l’usquebaugh[1].

Quand cet illustre personnage se fut avancé près de Butler et de Jeanie, « Monsieur Deans, » dit-il d’un air important, « je prendrai la liberté d’embrasser votre fille qui est sans doute cette jeune personne, car en vertu de ma charge j’ai l’habitude d’embrasser toutes les jolies filles qui viennent à Roseneath. » Après ce discours galant, il s’approcha de Jeanie, lui donna sur la joue un baiser retentissant, et lui souhaita cordialement la bienvenue dans le pays d’Argyle. Puis s’adressant à Butler, il dit : « Il faut que vous

alliez là-bas demain matin trouver les ministres, car ils vou-

  1. Eau-de-vie d’orge aromatisée, que l’on nomme communément whisky. a. m.