Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/441

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Effectivement, dans le cours de son voyage elle trouva ses deux compagnons disposés à avoir pour elle toute espèce d’attention, en sorte que son retour forma, sous tous les rapports, un frappant contraste avec la manière dont elle était venue à Londres,

Son cœur aussi était délivré du poids de la honte, du chagrin et de la crainte qui l’accablaient avant son entrevue avec la reine à Richemond. Mais l’esprit humain est si étrangement capricieux, que, lorsqu’il se trouve soulagé du poids d’un malheur réel, il devient susceptible de se laisser agiter par la crainte de maux imaginaires. Elle était en ce moment, fort inquiète de ne pas avoir reçu de lettre de Butler, quoiqu’il eût bien plus de facilité qu’elle à manier la plume.

« Cela ne lui aurait pas donné beaucoup de peine, se disait-elle, car j’ai vu quelquefois sa plume courir sur son papier avec autant de rapidité qu’elle effleurait l’eau quand elle appartenait encore aux ailes d’une oie. Hélas ! peut-être est-il malade ; cependant mon père m’en aurait sûrement dit quelque chose : peut-être encore a-t-il changé, et il ne sait de quelle manière me l’apprendre ? Il ne faut pas que cela l’embarrasse, » continua-t-elle en se redressant, quoique les larmes que lui arrachait un sentiment d’honnête fierté et de tendresse blessée brillassent dans ses yeux ; « Jeanie Deans n’est pas fille à l’aller tirer par la manche, et à lui rappeler ce qu’il désire oublier ; cela me m’empêchera pas de lui souhaiter toute sorte de bonheur comme auparavant, et s’il est assez heureux pour obtenir une église dans le pays, malgré cela j’irai l’entendre, pour lui prouver que je ne lui en veux pas. » Et, tout en se représentant cette image, les larmes amassées dans ses yeux coulaient le long de ses joues.

Jeanie eut tout le loisir de s’abandonner à ses rêveries mélancoliques ; car ses compagnons de voyage, comme domestiques d’une famille distinguée et du premier rang, avaient, on doit le penser, beaucoup de sujets de conversation auxquels elle ne pouvait trouver aucun plaisir, ni même prendre aucune part. Elle n’eut donc que trop de liberté de se livrer à ses réflexions et aux tourments qu’elle se créait, pendant plusieurs jours qu’il leur fallut pour arriver à Carlisle, voyageant à petites journées pour ménager les jeunes chevaux que le duc envoyait dans le nord. En approchant de cette ville, ils remarquèrent une foule considérable sur une éminence un peu éloignée de la grande route, et apprirent des passants, qui s’empressaient de se rendre