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fille avaient été chassées du pays. Mon père découvrit que j’étais l’auteur de leur honte et de leurs malheurs : il m’accabla de reproches amers, que je ne pus supporter. Je le quittai, et commençai à mener une vie remplie d’aventures et d’intrigues, résolu à ne jamais revoir le toit paternel.

« C’est maintenant que mon histoire devient pénible ! Jeanie, je vais mettre ma vie entre vos mains, et non seulement ma vie, qui, Dieu le sait, ne mérite pas d’être épargnée, mais le repos d’un vénérable vieillard et l’honneur d’une famille considérée. Mon goût pour la mauvaise société était, je puis le dire, d’un genre particulier, et indiquait un naturel qui, s’il n’eût pas été corrompu par des habitudes de désordres, eût pu devenir capable des meilleures choses. Les folles débauches, la gaieté grossière et la licence effrénée de ceux auxquels je m’associai me charmaient moins que le génie entreprenant, la présence d’esprit dans le danger, la finesse et l’adresse qu’ils déployaient pour tromper les officiers de la douane, ou autres aventures de ce genre. Avez-vous remarqué ce rectorat, examiné sa position et ses alentours ? n’est-ce pas une retraite délicieuse ? »

Alarmée de ce changement soudain de sujet, Jeanie, répondit affirmativement.

« Eh bien ! j’aurais voulu qu’il eût été à dix pieds sous terre avec les terres et les dîmes qui en dépendent. Sans ce maudit rectorat, j’aurais pu suivre mon penchant, qui m’entraînait vers la profession des armes ; et la moitié du courage et de l’intelligence dont j’ai fait preuve parmi les contrebandiers et les maraudeurs aurait suffi pour m’assurer un rang honorable parmi mes compatriotes. Pourquoi n’allai-je pas à l’étranger quand je quittai cette maison ? Pourquoi la quittai-je jamais ? Pourquoi… ? Mais enfin j’en suis arrivé à ce point où je ne puis songer au passé sans sentir ma raison s’égarer, et à l’avenir sans me livrer au désespoir. »

Il s’arrêta un moment, et continua ensuite avec plus de calme : « Les chances d’une vie errante m’amenèrent malheureusement en Écosse, pour prendre part à des actions plus criminelles que toutes celles dont je m’étais encore mêlé. Ce fut alors que je fis connaissance avec Wilson, homme très-remarquable dans sa classe. Plein de calme, de sang-froid et de résolution, d’un esprit ferme et d’une force de corps prodigieuse, il était doué aussi d’une espèce d’éloquence grossière qui l’élevait beaucoup au-dessus de