Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/339

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ces bois que la ville, car on n’a pas une troupe d’enfants qu’on entend crier après soi comme si on était une des merveilles du monde, et cela parce qu’on est plus jolie et mieux mise que ses voisines. Cependant, Jeanie, que les beaux habits et la beauté ne vous rendent pas trop fière. Malheur à moi d’y avoir trop songé ! ce ne sont que des pièges ; et à quoi cela m’a-t-il menée ? — Êtes-vous sûre de la route que vous nous faites prendre ? « dit Jeanie, qui commençait à craindre, en voyant qu’elle s’enfonçait dans les bois, de s’éloigner davantage de la grande route.

« Si je connais la route ? est-ce que je n’ai pas vécu long-temps ici ? et comment ne la connaîtrais-je pas ? J’aurais pu l’oublier, c’est vrai, car c’était avant mon accident ; mais il y a des choses que l’on ne peut jamais oublier, quoi qu’on fasse. »

Elles étaient alors arrivées dans la partie la plus épaisse du petit bois qu’elles suivaient. Les arbres étaient un peu écartés les uns des autres, et au pied d’un beau peuplier s’élevait un tertre couvert de gazon entremêlé de mousse et de fleurs sauvages, tel que le poète de Grasmere en décrit un dans ses vers sur l’aubépine. En y arrivant, Madge Wildfire éleva ses mains au-dessus de sa tête, les joignit avec force, et avec un cri perçant qui ressemblait à un rire convulsif, elle s’y précipita et y resta couchée immobile.

La première pensée de Jeanie fut de profiter de cette occasion pour fuir ; mais ce désir céda bientôt à la pitié que lui inspirait cette pauvre créature insensée, et à la crainte qu’elle ne pérît là faute de secours. Faisant donc un effort que sa position rendait héroïque, elle se baissa sur la pauvre Madge, lui parla d’un ton consolant, et chercha à la relever. Elle n’y parvint qu’avec peine, et lorsqu’elle l’eut fait asseoir au pied de l’arbre, elle remarqua que ses joues, naturellement colorées, étaient alors d’une pâleur mortelle, et baignées de larmes. Malgré ses propres inquiétudes, Jeanie fut d’autant plus touchée de l’état de sa compagne, qu’au milieu de toutes ses extravagances, et de l’égarement qui marquait toute sa conduite, elle avait cependant remarqué dans ses manières envers elle quelque chose d’amical dont elle lui savait gré.

Laissez-moi tranquille, laissez-moi, » s’écria la pauvre jeune femme, quand la violence de cet accès de désespoir commença à se modérer ; « Laissez-moi… cela me fait tant de bien de pleurer ; je ne puis verser des larmes qu’une fois ou deux dans l’année : alors je viens en arroser ce gazon, afin que les fleurs y