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CHAPITRE XXVII.

VISITE D’ADIEU.


Quelles pensées bizarres et fantasques se glissent dans l’esprit d’un amant ! Ô mon Dieu, m’écriai-je en moi-même, si ma Lucie n’était plus !
Wordsworth.


En poursuivant son voyage solitaire, notre héroïne, peu de temps après avoir dépassé la propriété de Dumbiedikes, arriva à une petite éminence d’où on apercevait à l’est un ruisseau sinueux, dont les bords étaient ombragés de saules et d’aunes, et qui fuyait en murmurant à travers une vallée où elle découvrait les chaumières de Woodend et de Beersheba, asile de ses jeunes années et témoin de ses premiers jeux. Elle pouvait distinguer la prairie où elle avait si souvent mené paître ses moutons, et les sinuosités du ruisseau où elle s’était amusée à cueillir des joncs avec Butler, pour en tresser des couronnes et des sceptres pour la petite Effie, alors jolie enfant gâtée d’environ trois ans. Les souvenirs que cette vue lui rappela furent si amers que, si elle eût suivi son penchant, elle se serait assise pour donner un libre cours à ses larmes.

« Mais je savais, » disait Jeanie quand elle racontait son voyage, « que pleurer ne pouvait servir à rien, et que je devais plutôt remercier le Seigneur qui m’avait donné des signes de sa protection et de son appui en touchant le cœur d’un homme qu’on regardait en général comme un avare et un Nabal, mais qui avait répandu sur moi ses biens avec autant de largesse que la source épanche ses eaux sur la plaine. Et je me rappelai le passage de l’Écriture sur le péché d’Israël à Misabah, lorsque le peuple murmurait, quoique Moïse eût fait jaillir de l’eau du rocher afin que le peuple pût se désaltérer et vivre. Ainsi donc, je n’osai pas jeter un dernier regard sur ce pauvre Woodend, car la fumée bleuâtre qui s’échappait de ses cheminées me rappelait trop péniblement les changements survenus depuis dans notre sort. »

Ce fut dans cet esprit de résignation chrétienne qu’elle poursuivit son voyage, jusqu’à ce qu’elle eût passé ce lieu qui lui rappelait tant de souvenirs mélancoliques, après quoi elle ne tarda pas à arriver auprès du village où demeurait Butler, qui s’élève avec sa vieille église et son antique clocher au milieu d’un bouquet d’arbres qui occupe le sommet d’une colline au sud d’Édim-