Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/28

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tion se torturent le cerveau pour varier leur histoire, et, après tout, à peine trouvent-ils des caractères ou des incidents qui n’aient été battus et rebattus, au point d’être familiers à tous les lecteurs ? et ainsi le développement du roman, l’enlèvement, la blessure mortelle dont le héros ne meurt jamais, la fièvre brûlante dont l’héroïne est sûre de guérir, deviennent une affaire de pure habitude. Je suis de l’avis de mon honnête ami Crabe, et j’ai une malheureuse disposition à espérer encore quand tout espoir est perdu, et à me fier en ce corset de liège qui porte le héros du roman sain et sauf à travers tous les flots de l’affliction. » Et il se mit à déclamer le passage suivant, avec quelque peu d’emphase :

Je m’effrayais jadis, mais je suis sans effroi.
Si quelque vierge en son émoi
Est arrachée à sa natale rive ;
Qu’un mur solide enfermant la captive,
À ses clameurs nous rende sourds ;
Qu’elle ne puisse enfin, sautant par la fenêtre,
Compter sur le moindre secours.
Quelque pouvoir, je le sais, va paraître,
Et d’elle alors se rendant maître,
En dépit des pervers il sauvera ses jours.

« Quand tout est prévu, ajouta-t-il, l’intérêt est mort, et c’est pour cela que personne ne lit les romans nouveaux. — Entendez-le, grands dieux ! reprit son ami. Allez chez lui, monsieur Pattieson, et vous trouverez sur sa table les romans nouveaux les plus en réputation, cachés, il est vrai, sous les Institutes de Stairs ou un volume ouvert des Décisions de Morrison. — Pourquoi le nier, » dit le jurisconsulte en expectative, « quand tout le monde sait que ces Dalilas en séduisent de plus sages et de meilleurs que moi ? Ne les trouve-ton pas cachés au milieu des nombreux mémoires de nos plus célèbres avocats ? Ne les voit-on pas même sous le coussin du fauteuil d’un juge ? Nos anciens au barreau, même sur leurs sièges, lisent des romans, et, si l’on dit vrai, quelques-uns en composent par-dessus le marché. J’en lis par habitude et par désœuvrement, et non par l’intérêt qu’ils inspirent ; comme le vieux Pistol rongeant son poireau, je lis et je jure jusqu’à ce que j’arrive à la fin du récit. Mais il n’en est pas de même quand il s’agit du récit des folies humaines, du journal des progrès, et du livre des ajournements, où chaque page vous dévoile un nouveau secret du cœur humain, où vous rencontrez des revirements de fortune qui surpassent tout ce que le plus hardi romancier pourrait forger dans son cerveau. — Et vous pensez,