Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/193

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sur son lit et plongée dans une profonde rêverie. Quelques aliments étaient sur la table, et paraissaient d’une qualité supérieure à ceux qu’on donne ordinairement aux prisonniers ; mais elle n’y avait pas touché. Le porte-clefs, à la surveillance duquel elle était particulièrement confiée, dit qu’elle passait quelquefois vingt-quatre heures sans prendre autre chose qu’un verre d’eau.

Sharpitlaw prit un siège, et, ordonnant au porte-clefs de se retirer, il commença ainsi la conversation, en cherchant à donner à sa figure et à ses manières toute l’expression de commisération qu’elles étaient susceptibles de prendre ; ce qui n’est pas dire beaucoup, car sa physionomie annonçait l’égoïsme et la ruse, et son ton était alternativement dur, sec ou railleur :

« Comment vous portez-vous, Effie ? comment vous trouvez-vous, mon cœur ? »

Un profond soupir fut sa seule réponse.

« Est-on civil avec vous ici, Effie ? c’est mon devoir de m’en informer. — Très-civil, monsieur, » dit Effie en faisant un effort pour répondre, et sans savoir ce qu’elle disait.

« Et votre nourriture ? » continua Sharpitlaw en affectant le même intérêt ; « avez-vous ce que vous aimez ? désirez-vous quelque chose de particulier ? Votre santé me paraît bien faible. — Elle est très-bonne, monsieur, » répondit la pauvre captive d’un ton où il ne restait plus aucune trace de la vivacité et de l’enjouement du Lis de Saint-Léonard ; « elle est très-bonne, meilleure que je ne mérite. — Il faut que celui qui vous a amenée là, Effie, soit un grand scélérat, dit Sharpitlaw.

Cette remarque était dictée en partie par un sentiment naturel de compassion dont cet homme, tout accoutumé qu’il était à mettre en jeu les passions des autres et à se tenir en garde contre les siennes, n’avait pu se défendre entièrement, en partie par le désir qu’il avait de commencer la conversation de la manière la plus favorable à ses projets. Il faut avouer que, dans le cas actuel, la ruse et la sensibilité s’accordaient merveilleusement en lui ; car, se disait-il, plus ce Robertson est criminel, plus il y a de mérite à le faire tomber entre les mains de la justice. « Il faut réellement que ce soit un grand scélérat, répéta-t-il, et je voudrais bien le tenir. — Je suis plus à blâmer que lui, dit Effie ; j’ai été élevée de manière à mieux me conduire ; et lui, le pauvre malheureux… » Ici elle s’arrêta.