Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/172

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de succès, que dix ou douze hommes robustes, qui tenaient la corde qu’on lui avait jetée, étaient en danger d’être entraînés eux-mêmes dans la rivière et d’y perdre la vie, plutôt que de réussir à sauver celle de l’homme qui périssait. Mais, poursuivait Davie d’un air triomphant, le célèbre John Semple, de Carsphaen, reconnut le démon qui s’était saisi de la corde. « Lâchez la corde, » nous cria-t-il (car, quoique je fusse encore enfant, j’étais un de ceux qui la tenaient), « C’est le grand ennemi de l’homme ! Il brûle, mais ne se noie pas ; son dessein est de troubler nos pieuses œuvres en jetant la confusion et le désordre dans nos esprits, pour en effacer tout ce que vous avez entendu, et les impressions qui vous en sont restées. » Nous lâchâmes donc la corde, ajoutait Davie, et il tomba au fond de l’eau en hurlant et beuglant comme le taureau de Basham, suivant le nom que lui donne l’Écriture[1].

Élevée dans la croyance de telles légendes, il n’était pas étonnant que Jeanie commençât à éprouver une crainte vague des fantômes qui pourraient l’assaillir pendant sa route, et conçût des doutes sur la nature et le but de l’être mystérieux qui lui avait donné rendez-vous dans un lieu et à une heure si propres à inspirer l’effroi, et dans un moment où son esprit, livré à de mortelles inquiétudes et à d’amers chagrins, devait la rendre plus accessible aux tentations insidieuses, aux dangereuses séductions de l’esprit malin. Si une idée semblable s’était présentée à Butler lui-même, tout instruit et éclairé qu’il était, quelle impression ne devait-elle pas faire sur Jeanie ! Cependant, malgré sa ferme croyance à la possibilité d’une rencontre surnaturelle, dont la seule vue était capable de faire frissonner, elle n’en résolut pas moins, avec un degré de courage dont l’incrédulité de notre siècle, qui nous rend étrangers à ces sensations, ne nous permet pas d’apprécier tout le mérite, de ne pas laisser échapper une occasion qui pouvait lui procurer un moyen de sauver sa sœur, quand bien même elle devrait s’exposer par là à tous les dangers que redoutait son imagination. Ainsi, semblable à Christiana,

  1. La vie errante de la secte persécutée des caméroniens, la tournure sombre de leur esprit, et les dangers auxquels ils étaient exposés, les conduisirent naturellement à la croyance non seulement qu’ils étaient quelquefois poursuivis par la colère des hommes, mais qu’ils étaient encore entourés de pièges secrets de Satan, qui se présentait souvent à eux avec toutes ses terreurs. Un orage ne pouvait avoir lieu, un cheval ne se déferrait pas, ou aucun autre accident tout aussi ordinaire ne pouvait survenir pour empêcher un ministre de célébrer le service divin dans un lieu particulier, sans être aussitôt attribué à l’influence immédiate des démons.