Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Deans prit sa Bible de la main gauche, de manière à cacher en partie son visage, et tendit la droite à Butler par derrière, sans se tourner vers lui, comme pour ne pas lui laisser voir l’agitation qu’il éprouvait. Butler saisit cette main qui avait soutenu son enfance orpheline, l’arrosa de ses larmes, et ne put, malgré tous ses efforts, prononcer que ces mots : « Que Dieu vous soutienne ! Que Dieu vous soutienne ! — Il le fera, mon ami, » dit Deans, qui reprit sa fermeté en voyant l’agitation de Butler ; « il l’a dit déjà, et le fera encore plus quand il jugera qu’il en est temps. J’ai été trop fier de ce que j’ai enduré pour la bonne cause, Reuben, et maintenant je subis des épreuves qui changeront mon orgueil et ma vanité en honte et en humiliation. Combien je me croyais meilleur que ceux qui couchent sur le duvet, et font bonne chère, quand je suivais sur les rochers et dans les marais le cygne Donald Caméron, et M. Blackadder, surnommé Guess-Again[1] ! combien j’étais fier d’être exposé en spectacle aux hommes et aux anges, lorsqu’à l’âge de quinze ans je fus mis au pilori de la Canongate pour la cause du Covenant national ! Moi, Reuben, qui ai été si honoré, si glorifié dans ma jeunesse ; qui ai rendu témoignage contre l’hérésie du siècle, tous les ans, tous les mois, tous les jours, toutes les minutes ; élevant la main et la voix, maudissant tous les pièges tendus au pays, l’abomination, si funeste à l’Écosse et à l’Église, de l’union, de la tolérance, et du patronage imposé par la dernière femme de la fatale race des Stuarts, ainsi que la violation du sublime pouvoir des anciens ; quand je publiai mon écrit intitulé : Cri d’un Hibou dans le désert, qui fut imprimé au haut de la rue de Bow, et vendu par tous les colporteurs dans la ville et la campagne ! Et maintenant… »

Il s’arrêta. On pense bien que Butler, bien qu’il n’eût pas tout à fait les mêmes idées que le vieillard sur le gouvernement de l’Église, avait trop d’humanité pour l’interrompre pendant qu’il rappelait avec orgueil ses souffrances et sa fidélité à la bonne cause. Quand il s’arrêta, accablé par les plus cruels souvenirs, Butler saisit l’occasion de lui adresser quelques consolations.

« Vous êtes bien connu, mon vieil et respectable ami, pour un sincère et éprouvé serviteur de la croix, pour un homme qui doit, comme dit saint Jérôme, per infamiam et bonam famam grassari ad immortalitatem, c’est-à-dire qui marche à la vie éternelle au milieu du blâme et au milieu des éloges. Vous avez été un de

  1. Devine encore ; autrement, le Prophète. a. m.