Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/137

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pour son cœur, et en même temps si humiliantes pour son légitime orgueil. On sait ce qu’il y a de louable aussi bien que de blâmable dans le caractère écossais, mais surtout dans l’intimité des relations de famille. Être né d’honnêtes gens, c’est-à-dire d’une famille sans tache, est un avantage aussi précieux pour le peuple d’Écosse, que l’est pour les nobles celui de descendre d’une antique maison. L’estime et le respect accordés à un membre d’une famille de paysans sont considérés par les siens et par les autres, non seulement comme un juste motif d’orgueil, mais encore comme une garantie de la bonne conduite de tous les autres membres de la famille. Au contraire, une tache comme celle qui venait de souiller un des enfants de Deans, s’étendait à tous ses parents, et Jeanie se sentait humiliée à la fois à ces propres yeux et à ceux de son amant. En vain elle s’efforçait d’étouffer ce sentiment personnel, pour se livrer toute entière aux chagrins que lui causait le malheur de sa sœur : la nature l’emportait, et aux larmes qu’elle répandait sur l’infortune et sur les dangers d’Effie, se mêlaient des pleurs plus amers sur sa propre humiliation.

Quand Butler entra, le vieux Deans était assis près du feu, tenant à sa main une petite Bible usée, compagne des dangers de sa jeunesse, et que lui avait léguée sur l’échafaud un de ceux qui, en 1686, scélèrent de leur sang leurs principes fanatiques. Le soleil pénétrant derrière le vieillard, au travers d’une étroite fenêtre, éclairait ses cheveux gris et le livre sacré qu’il lisait. Ses traits étaient durs et sévères ; ils avaient cependant une expression de gravité et de mépris des choses humaines qui leur donnait un air de dignité stoïque. Il présentait les caractères que Soutey attribue aux anciens Scandinaves, quand il les offrait, « fermes à punir et durs à souffrir. » L’ensemble de cette scène formait un tableau dans le goût de Rembrandt pour le clair-obscur, mais dont les personnages ne pourraient être dessinés que par le pinceau vigoureux et énergique de Michel-Ange.

Deans leva les yeux sur Butler et les baissa aussitôt, comme s’il ressentait à sa vue de la surprise et de l’affliction. Il avait toujours traité avec tant d’arrogance le savant mondain, comme il appelait Butler dans son orgueil, que sa présence, dans la honte dont il était couvert, augmentait encore son malheur ; c’était le sentiment d’humiliation de ce chef qui dans la vieille ballade s’écrie, en mourant : « Le comte Percy m’a vu tomber[1] ! »

  1. Earl Percy sees my fall.