Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/122

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osât jamais plier le jarret pour sauter au son de la flûte et du violon. Et je bénis Dieu avec le digne Pierre Walker[1], le colporteur de Bristo-Port, de ce que dans la jeunesse, époque où l’on aime la danse, le danger que courait ma tête, la crainte de l’échafaud, de la balle, du sabre, de la torture, le froid et la faim, la douleur et la fatigue, ont comprimé la légèreté de ma tête et la vivacité de mes jambes. Et maintenant, jeunes filles, si je vous entends prononcer ce mot de danse, si vous songez seulement qu’il existe au monde quelque chose semblable à des danses au son de la flûte et du violon, aussi vrai que l’âme de mon père est avec Dieu, je vous abandonne et vous renonce pour mes filles. Allons, rentrez, rentrez, » continua-t-il en s’adoucissant, car ses deux filles, Effie surtout, versaient des armes abondantes : « rentrez, mes chères enfants : nous demanderons à Dieu de nous préserver de ces folies profanes qui engendrent le péché, qui soutiennent le royaume des ténèbres dans sa lutte contre le royaume des lumières. »

  1. Ce personnage, sur lequel l’auteur ne pourrait garder complétement le silence sans une indigne ingratitude, mit un zèle et une ardeur extraordinaires à réunir et enregistrer les actions et les opinions des caméroniens. Il demeurait, quand il n’était pas en voyage, dans Bristo-Port, à Édimbourg. Il faisait le métier de marchand ambulant ou colporteur, profession qu’il paraît avoir exercée en Irlande aussi bien qu’en Angleterre. Il composa des notices biographiques sur Alexandre Peden, John Semple, John Weywood et Richard Caméron, tous ministres de la secte caméronienne, qui dut son nom à ce dernier.
    C’est dans ces traités, écrits avec le sentiment et l’esprit de cette croyance, et non dans les récits falsifiés d’une époque plus récente, qu’il faut chercher le caractère réel de cette secte persécutée. Walker écrit avec une simplicité qui tantôt tombe dans le burlesque, tantôt dans le mysticisme le plus obscur, mais qui exprime toujours une pleine confiance dans la vérité de sa croyance et peint la pureté de ses sentiments. On retrouve quelquefois chez lui un esprit étroit et une insupportable bigoterie. Son goût pour le merveilleux appartient à son époque et à sa secte ; mais il n’y a guère lieu de suspecter sa véracité toutes les fois qu’il parle de ce qu’il a vu ou jugé par lui-même. Ses petits traités se vendent aujourd’hui fort cher ; surtout les éditions anciennes et authentiques.
    L’anathème que Davie Deans prononce contre la danse est en partie emprunté à Pierre Walker, qui remarque comme une injure pour le nom de Richard Ciméron que sa mémoire fût insultée « par les joueurs de flûte et de violon qui jouaient la marche caméronienne, musique charnelle et mondaine au son de laquelle dansent tant de chrétiens. Aucune danse ne convient à un chrétien, mais celle-là moins que toute autre. Quoique l’Écriture rapporte, continue-t-il, des fautes dans lesquelles tombèrent les saints, aucun d’eux n’est accusé de s’être livré à ces accès régulier ? de folie. Nous voyons que les méchants et les profanes s’y sont adonnés lors de l’ignoble et honteuse adoration du veau d’or ; et il eût mieux valu pour cette malheureuse créature qui dansa pour obtenir la tête de Jean-Baptiste, être née impotente et n’avoir jamais pu remuer un membre. Les historiens disent que son péché fut écrit sur son jugement, car peu après, comme elle dansait sur la glace, la glace se rompit et lui brisa la tête : sa tête dansa au-dessus et ses pieds au-dessous. On en peut conclure que quand la corruption du monde était excessive, ou dansait aux mariages ; mais quand le ciel sur leurs têtes, et la terre sous leurs pieds, les inondèrent de torrents d’eau, leur joie fut aussitôt arrêtée ; quand le Seigneur, dans sa justice, fit tomber une pluie de feu et de souffre sur la ville coupable de Sodome, plongée dans la débauche et les plaisirs, leurs violons s’enflammèrent, et tous les habitants du pays sur trente milles de long et dix de large, comme disent les Écritures, grillèrent dans leur peau ; et au dernier jour, tous ceux qui dansent et célèbrent des noces, quand tout s’embrasera, changeront bien vite de ton et de mesure.
    « Je me suis souvent étonné, dans le cours de ma vie, qu’un homme qui sait ce que c’est que fléchir le genou pour une prière fervente, osât plier le jarret pour sauter au son de la flûte ou du violon. Je bénis le Seigneur de ce que dans ma jeunesse, temps où l’on aime la danse, la crainte du sabre et des balles pour mon cou et ma tête, les tortures, les fers, le froid, la faim, la fatigue ont réprimé la légèreté de ma tête et la folie de mes jambes. Il sut bien le faire entendre à la reine Marie, cet homme de Dieu dont la mémoire ne doit jamais périr, John Knox, quand elle lui porta ce perfide défi, qui eût accablé nos ministres à l’esprit bas, à la langue confuse, de lui donner un avertissement public et fidèle du danger qu’entraînerait pour l’Église et la nation son mariage avec le Dauphin de France. Entrant dans une cour extérieure où les femmes de Marie sautaient et à dansaient, il s’écria : « Ô belles dames, ce serait là un beau monde s’il n’y en avait pas d’autre, et si le ciel était bien loin de vous ! mais songez à la mort qui viendra s’emparer de vous, et alors où seront vos chants et vos danses ? » La danse étant un mal si répandu, surtout parmi les jeunes croyants, tandis que tous les serviteurs de Dieu devraient en avoir horreur, j’ai cru devoir m’élever avec force contre elle, et surtout contre cette folie qu’on appelle la marche caméronienne. » (Vie et Mort de trois Saints, etc., par Pierre Walker, in-12, p. 59.)
    On peut observer ici que quelques-uns des caméroniens les moins rigides faisaient une distinction en faveur des danses où les deux sexes étaient séparés ; ils les regardaient comme un exercice légitime et bon pour la santé. Mais quand les hommes et les femmes dansaient ensemble, on appelait cela des danses entremêlées, qu’on regardait comme un énorme scandale.