Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/113

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jamais. Heureusement pour les amants, leur attachement n’était ni ardent, ni passionné, et le sentiment du devoir leur fit attendre avec patience et courage le moment de s’unir.

Cependant les années, dans leur marche rapide, amenaient les changements ordinaires. La veuve d’Étienne Butler, si longtemps l’appui de la maison de Bersheeba, fut réunie à ses pères, et Rebecca, la prévoyante épouse de notre ami Davie Deans, fut aussi enlevée à ses plans d’économie domestique. Le lendemain de sa mort, Butler vint offrir son tribut de consolation à son vieil ami, et fut témoin, dans cette circonstance, d’une lutte remarquable entre les sentiments de la nature et ce stoïcisme religieux que Deans croyait devoir affecter dans la bonne comme dans la mauvaise fortune.

À son arrivée, Jeanie, les yeux gonflés de larmes, lui montra le petit verger « que son pauvre père n’avait pas quitté depuis son malheur, » dit-elle d’une voix basse et interrompue par les sanglots. Un peu alarmé à ces paroles, Butler entra dans le verger, et avança lentement vers son vieil ami, qu’il trouva assis sur un tronc d’arbre et comme accablé par son affliction. Deans leva les yeux vers Butler avec un air de mécontentement, comme s’il eût été offensé de cette interruption ; mais, voyant le jeune homme hésiter s’il se retirerait ou s’il avancerait, il se leva, et vint à lui d’un air de calme et même de dignité.

« Jeune homme, lui dit-il, les justes meurent, mais on peut dire que la mort ne fait que les enlever aux maux de cette vie. Malheur à moi si je versais une larme sur l’épouse de mon cœur, quand j’en devrais répandre des torrents sur l’Église affligée par l’hérésie et par ces hommes qui ont le cœur mort ! — Je vois avec satisfaction, dit Butler, que la religion vous fait oublier vos chagrins particuliers. — Les oublier, Butler ! » dit le pauvre Deans en portant son mouchoir à ses yeux : « Je n’oublierai jamais Rebecca dans ce monde ; mais celui qui fait les blessures peut y répandre le baume. J’ai eu cette nuit des instants de méditation si profonde que je ne songeais plus au poids de cette perte. Il en a été de moi