Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/45

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caractère que les ménestrels appellent la lettre noire. Il découvrit aussitôt le célèbre lai, intitulé Sire Tristrem, qui avait été si souvent altéré et abrégé, qu’il ne ressemblait plus guère à l’original. Hugonnet, connaissant tout le prix que les anciens propriétaires du château attachaient à ce poème, tira le volume en parchemin des rayons de la bibliothèque, et le posa sur un petit pupitre qui se trouvait là, près du fauteuil du baron. Après s’être ainsi disposé à le sauver, il tomba dans une courte rêverie, favorisée par le jour qui baissait, par le bruit des préparatifs du garde-manger de Douglas, mais surtout par cette idée qu’il contemplait pour la dernière fois des objets depuis long-temps familiers à ses yeux, à l’instant même où ils allaient être détruits pour toujours.

« Le barde songeait donc en lui-même au singulier mélange des caractères de savant mystique et de guerrier réunis dans son vieux maître, quand tout-à-coup, abaissant les yeux sur le livre du vieux Rimeur, il remarqua avec surprise qu’il était lentement entraîné par une main invisible loin du pupitre où il l’avait laissé. Le vieillard regarda avec horreur le mouvement spontané du livre à la sûreté duquel il était si intéressé, et eut le courage de se rapprocher un peu de la table, afin de découvrir par quel moyen il en avait été retiré.

« Comme je vous l’ai dit, la chambre commençait à s’obscurcir, de manière qu’il n’était pas facile de distinguer s’il y avait réellement quelqu’un dans le fauteuil ; mais en regardant avec plus d’attention, il semblait qu’une espèce d’ombre ou de vapeur ayant forme humaine y était assise ; elle n’avait pourtant rien d’assez précis pour qu’on pût en saisir exactement l’ensemble, ni d’assez détaillé pour qu’on aperçût distinctement son mode d’action. Le barde de Douglas regardait donc l’objet de ses frayeurs comme si quelque chose de surhumain se fût présenté à ses yeux. Cependant, à force de regarder, il parvint à découvrir un peu mieux l’objet qui s’offrait à sa vue, et sa vue devint même par degrés plus claire et plus capable de discerner ce qu’il contemplait. Une grande forme maigre, habillée ou plutôt recouverte d’une longue robe traînante pleine de poussière, dont la figure était tellement ombragée de cheveux, et la physionomie si étrange qu’on pouvait à peine croire qu’elles appartinssent à un homme : tels étaient les seuls traits du fantôme qu’on pût saisir ; et en l’examinant avec plus d’attention, Hugonnet remarqua encore deux autres formes qui avaient la tournure d’un cerf et d’une biche, et qui paraissaient se cacher der-