Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/299

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dans les grands empires de l’Orient, mais depuis quatre siècles… J’ai laissé vos paysans pauvres, il est vrai, mais honnêtes et industrieux, endurant leur sort en ce monde avec courage, et tournant leurs regards vers l’autre avec espérance… Maintenant, je ne vois que vils serviteurs, regardant. Dieu me pardonne ! toutes les dix minutes, à leur montre, de crainte de travailler pour leur maître un instant de trop… Et puis, au lieu d’étudier la Bible les jours de travail, et d’assister les dimanches aux discussions du ministre sur des points douteux de controverse, ils glanent toute leur théologie dans Tom Payne et Voltaire. »

Mistress Dods approuva fort cette déclamation de l’étranger, et se plaignit que des colporteurs vinssent jusque dans sa maison vendre les vanités du monde à ses servantes, et leur soutirer un argent qu’elles emploieraient mieux à soulager leur père sans ouvrage ou malade.

« Leur père ! continua M. Touchwood : elles ne pensent pas plus à leur père que Regan et Goneril[1]. Puis ces brutes sont devenues mercenaires. Je me rappelle qu’autrefois un Écossais n’aurait pas touché à un schelling sans l’avoir gagné, et pourtant il était aussi empressé à obliger un étranger que l’est un Arabe du désert. Dernièrement il m’est arrivé de laisser tomber ma canne pendant que j’étais à cheval… un manant qui travaillait à une haie fit trois pas pour la ramasser… je le remerciai ; mais mon drôle, remettant son bonnet sur sa tête, envoya au diable mes remercîments, si c’était là tout ce que j’avais à lui donner. — Bien, bien, » répliqua le clerc, qui ne partageait nullement les opinions de ses deux hôtes ; « mais le pays est riche, sans contredit, et la richesse… — La richesse ! interrompit M. Touchwood ; mais êtes-vous vraiment riches ? Vous faites un grand étalage de vos constructions et de votre culture : dans tout cela point de fond, pas plus que la graisse d’un homme corpulent n’indique force et santé. Croyez-moi, ce sont là des signes non de richesse, mais de folie, de folie qui est pauvre, et qui se rend d’autant plus pauvre qu’elle désire paraître riche. Et d’où provient cette ostentation ? Monsieur le banquier, vous pourriez nous le dire : on escompte, on escompte sans cesse. Vous n’aviez qu’une banque à mon départ, maintenant le pays n’est plus qu’une grande banque. Dans votre pays on ne fait que courir, trotter, galoper… mousse, écume, fumée ! Point de consistance, point de caractère. »

  1. Regan et Goneril, filles du roi Lear.