Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/298

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sionomie exprimait une haute confiance en lui-même, et une espèce de dédain pour ceux qui n’en avaient ni vu ni enduré autant que lui. Ses courts cheveux noirs étaient mêlés de gris. Ses yeux noirs comme le jais, enfoncés, petits et brillants, contribuaient, avec un nez court et retroussé, à marquer un penchant à la colère. Son teint brûlé avait pris une couleur de brique par suite des changements de climat auxquels il avait été soumis ; et sa figure qui, à distance d’un ou deux pas, semblait unie et lisse, présentait, vue de moins loin, un million de rides, se croisant dans tous les sens possibles, mais si fines qu’elles semblaient tracées avec la pointe d’une aiguille. Son costume consistait en un habit bleu et un gilet de buffle, des demi-bottes extrêmement bien cirées, et une cravate de soie nouée avec une précision militaire. La seule partie un peu surannée de ses vêtements était un chapeau à cornes de dimensions équilatérales, en haut duquel il portait une très petite cocarde. Mistress Dods, accoutumée à juger des gens à la première vue, a souvent répété depuis qu’aux trois pas qu’il fit de la porte à la table de thé elle reconnut, avec certitude de ne pas se tromper, la démarche d’un homme en état de bien figurer dans le monde ; « et c’est à quoi » ajoutait-elle avec un clignement d’œil, « nous autres aubergistes, nous nous trompons rarement. Si un gilet brodé d’or a les poches vides, le gilet de daim tout simple sera le plus beau des deux. »

Avant d’entamer la conversation sur un sujet quelconque, les trois personnes réunies dans le salon vert durent naturellement chercher à savoir en quelle compagnie elles se trouvaient. « Vous êtes sans doute de ce pays, dit le banquier, » désirant forcer ainsi l’étranger à s’exprimer catégoriquement ; « pourtant je ne croyais pas que Touchwood fût un nom écossais. — Un nom écossais ?… non, répliqua le voyageur, mais on peut avoir voyagé dans ce pays sans y être né… — Quoi qu’il en soit, si vous avez connu jadis notre pays, vous ne pouvez qu’être merveilleusement satisfait des changements que nous y avons faits depuis la guerre d’Amérique… des montagnes couvertes de luzerne au lieu de bruyères… les revenus doublés, triplés, quadruplés… les vieux donjons abattus, et les gens demeurant dans d’aussi bonnes maisons que partout en Angleterre. — Oui-da ! vous avez cru qu’il fallait changer tout, absolument tout… inconstants comme l’eau ; vous avez été comme l’eau, vous ne sortirez pas de vos limites… En vérité, il y a eu plus de changements dans votre misérable coin depuis quarante ans que