Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/283

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sur la table de travail indiquait à la fois la culture et le peu de fixité de son esprit. On y voyait des dessins inachevés, de la musique couverte de ratures, divers genres d’ouvrages à l’aiguille et plusieurs autres petits travaux de femme, tous entrepris avec zèle, continués avec art et élégance jusqu’au point où ils en étaient, mais tous abandonnés avant qu’un seul eût été achevé.

Clara elle-même était assise sur un petit lit de repos, près de la croisée, lisant, ou du moins tournant les feuillets d’un livre dans lequel elle semblait lire. Mais se levant subitement dès qu’elle aperçut son frère, elle courut à lui avec la gaîté la plus franche.

« Soyez le bienvenu, mon cher John ; c’est fort aimable à vous d’être venu visiter votre sœur dans la retraite. J’étais là occupée à tâcher de clouer mes yeux et mon intelligence sur un livre stupide, parce qu’on dit que trop penser ne me vaut rien ; mais grâce à la bêtise de l’auteur, ou au peu d’attention qu’il est en mon pouvoir de lui accorder, mes yeux parcourent les pages absolument comme dans un rêve, quand on s’imagine lire sans être en état de comprendre un seul mot : vous me parlerez, et cela vaudra mieux. Que vous offrirai-je pour votre bienvenue ? Je crains que du thé ne soit tout ce que j’ai de prêt, et que vous n’en fassiez pas grand cas. — Je serai bien aise d’en prendre une tasse maintenant, répondit Mowbray, car je désire vous parler. — Alors, Jessy va nous en préparer à l’instant, » dit miss Mowbray en sonnant ; et sa femme de chambre étant entrée, elle lui donna ses ordres. « Mais il ne faut pas être ingrat, John, et venir m’ennuyer du cérémonial de votre fête… c’est assez d’en avoir le désagrément le jour même ; j’y assisterai et je jouerai mon rôle aussi joliment que vous pouvez le désirer ; mais y songer d’avance me donnerait mal au cœur et à la tête : ainsi je vous prie de m’épargner. — Petit chat sauvage, dit Mowbray, vous devenez de jour en jour plus farouche… Nous vous verrons quelque jour gagner les bois comme la princesse Caraboo. Cependant je tâcherai de ne point vous contrarier. Mais, Clara, j’avais quelque chose de plus sérieux à vous dire… une chose de la plus haute importance. — Qu’est-ce ? » s’écria Clara tout effrayée, « au nom de Dieu ! qu’est-ce ? vous ne savez pas combien vous m’épouvantez. — Allons, vous vous effrayez d’une ombre, Clara, reprit son frère, il s’agit de l’embarras le plus commun au monde… Je suis dans un grand besoin d’argent. — Est-ce là tout ? répliqua Clara d’un ton qui parut à son frère autant au dessous de la difficulté, lorsqu’il l’eut exposée, que ses craintes l’avaient exagérée avant qu’elle en connût la nature.