Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/274

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Cependant je suis bien maintenant… tout-à-fait bien… J’ai invité toute la société à venir à Shaws-Castle… mon frère m’avait dit de le faire… J’espère que j’aurai le plaisir d’y voir M. Tyrrel… quoiqu’il y ait, je crois, quelque vieille querelle entre mon frère et vous. — Hélas ! Clara, vous vous méprenez. J’ai à peine vu votre frère, » répliqua Tyrrel, très abattu, et ne sachant sur quel ton lui adresser la parole pour apaiser un désordre d’esprit qu’il ne pouvait plus méconnaître.

« C’est vrai… c’est vrai, » dit-elle, après un moment de réflexion, « mon frère était alors au collège. C’est avec mon père, mon pauvre père, que vous eûtes quelque querelle… Mais vous viendrez à Shaws-Castle jeudi à deux heures ?… John sera content de vous voir… Il est aimable quand il veut… et alors nous parlerons de l’ancien temps. Il faut que je continue ma route pour aller faire les préparatifs… Bon soir ! »

Elle l’eût laissé là, s’il n’eût saisi avec précaution les rênes de son cheval. « Je ferai route avec vous, Clara, dit-il, la route est rude et dangereuse… vous ne devriez pas aller vite… Je marcherai à côté de vous, et nous parlerons de l’ancien temps plus à notre aise qu’en compagnie. — C’est vrai… très vrai, monsieur Tyrrel… j’y consens de bon cœur. Mon frère m’oblige quelquefois à aller en compagnie là-bas, dans cet endroit maudit ; j’y vais parce que cela lui fait plaisir, et parce qu’ils me laissent agir à ma fantaisie, arriver ou partir quand bon me semble. Savez-vous bien, Tyrrel, que très souvent quand j’y suis et que John a l’œil sur moi, je puis me montrer vive et joyeuse, tout comme si vous et moi ne nous étions jamais rencontrés ? — Plût à Dieu que cela ne fût point arrivé, » dit Tyrrel d’une voix tremblante, « puisque telle doit être la fin de tout ! — Et pourquoi le chagrin ne serait-il pas la suite inévitable des fautes et des folies ? A-t-on jamais trouvé le bonheur dans la désobéissance ? et quand est-ce qu’un sommeil profond a visité un oreiller sanglant ? Voilà ce que je me dis à moi même, Tyrrel, et voilà ce que vous devez apprendre à vous dire aussi ; et alors vous porterez votre fardeau aussi gaîment que j’endure le mien. Si nous n’avons pas plus que nous n’avons mérité, pourquoi nous plaindrions-nous ? Vous répandez des larmes, je crois… n’est-ce pas là un enfantillage ?… On dit que c’est un soulagement… S’il en est ainsi, continuez à pleurer, je regarderai d’un autre côté. »

Tyrrel marchait près du cheval, s’efforçant en vain de se remettre assez pour répondre.