Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/255

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Telle que nous venons de la dépeindre, lady Binks était encore un objet d’envie pour la moitié des jeunes miss qui se trouvaient aux eaux. Elles l’avaient autrefois méprisée et censurée, et lady Binks n’avait pas oublié les offenses faites à miss Bonnyrigg ; mais elles se soumettaient à lui voir prendre sa revanche, comme les lieutenants supportent les bourrades d’un capitaine de vaisseau dur et emporté, dans l’intention secrète de les rendre avec usure à leurs inférieurs lorsqu’ils seront eux-mêmes devenus capitaines.

Lady Binks avait remarqué l’entrevue de Tyrrel et de sir Bingo ; et connaissant par expérience la manière dont son honoré seigneur et maître avait coutume de reculer devant une discussion fâcheuse, autant que son talent à se fourrer dans de tels embarras, elle ne doutait guère qu’il n’eût reçu de l’étranger quelque nouvel affront. Elle regardait donc celui-ci avec un sentiment confus, sachant à peine si elle devait le voir avec plaisir pour avoir vexé l’être qu’elle haïssait, ou avec colère, pour avoir insulté une personne dans l’avilissement de qui le sien propre était enveloppé. Franck, de son côté, faisait peu d’attention à elle, étant presque entièrement occupé à répondre aux questions de l’intarissable lady Pénélope Penfeather.

Recevant des réponses polies, quoiqu’un peu évasives, tout ce que Sa Seigneurie put apprendre fut que Tyrrel avait voyagé dans plusieurs parties éloignées de l’Europe, et même en Asie. Désappointée, mais non rebutée, elle lui indiqua plusieurs personnes de la société auprès de qui elle se proposait de l’introduire. Néanmoins, elle s’arrêta tout-à-coup au milieu de cette énumération. « Me pardonnerez-vous, monsieur Tyrrel, dit-elle, si je vous dis que j’ai épié vos pensées depuis quelques instants, et que je vous ai deviné ? Je vous ai nommé toutes ces bonnes gens ; vous m’avez fait des réponses si polies, qu’on pourrait avec beaucoup de convenance et d’utilité les insérer dans les dialogues familiers pour enseigner aux étrangers à s’exprimer en anglais dans les circonstances ordinaires… et pendant tout ce temps-là, votre esprit était entièrement occupé de cette chaise vide, qui est restée là en face, entre notre digne président et sir Bingo Binks. — J’avoue, madame, répondit-il, que j’ai été un peu surpris de voir une place si distinguée inoccupée, tandis que la table est un peu encombrée. — Oh, avouez davantage, monsieur !… avouez que pour un poète un siège inoccupé… le siège de Banquo… a plus de charmes que s’il était rempli même par un gros alderman…. Que serait-ce si la Dame-