Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/211

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lieu dans ses murs, sur les bons tours qui avaient été joués sous l’influence des liqueurs de ses celliers. Tout cela néanmoins est passé depuis long-temps :

Ce fut un lieu de joie, ainsi qu’on nous le dit ;
Mais tout vient l’attrister : c’est un séjour maudit

Le digne couple (serviteurs, et protégés de la famille de Mowbray) qui tint d’abord cette auberge était mort assez riche, laissant une fille unique. Ils avaient acquis peu à peu non seulement la propriété de l’auberge dont ils n’étaient originairement que les locataires, mais encore quelques bonnes prairies du côté de la rivière, biens dont les lairds de Saint-Ronan s’étaient défaits pièce à pièce, par l’effet de circonstances nécessiteuses, comme pour assurer une dot à une fille, ou pour procurer dans l’armée une commission à un fils cadet[1], ou enfin pour d’autres occasions importantes. Ainsi Meg Dods[2] était devenue une héritière assez désirable ; et, comme telle, elle eut l’honneur de refuser trois gros fermiers, deux lairds propriétaires, et un opulent maquignon, qui tour à tour lui demandèrent sa main.

Plusieurs paris furent faits pour le succès du maquignon, mais les teneurs furent bien trompés. Décidée à garder les rênes entre ses mains, Meg ne voulut point prendre un mari qui pût bientôt s’arroger des droits de maître. Persévérant dans son système de bonheur solitaire, despote comme la reine Élisabeth elle-même, elle régla tout à sa tête, et conserva la main haute non seulement sur ses domestiques mâles et femelles, mais encore sur l’étranger qui s’arrêtait chez elle. S’il arrivait que celui-ci osât s’opposer à la volonté souveraine ou au bon plaisir de Meg, ou qu’il désirât un autre appartement, d’autres mets, elle l’éconduisait aussitôt avec cette réponse qui, selon Érasme, imposait silence aux plaintes dans les auberges allemandes de son temps : Quare aliud hospitium[3] ; ou comme s’exprimait Meg : « Tournez-moi les talons, et cherchez un autre gîte. » Comme cela équivalait à un exil distant de plus de seize milles de la résidence de Meg, l’infortuné contre lequel une telle malédiction était portée n’avait d’autre ressource que de tâcher d’apaiser le courroux de son hôtesse et de se résigner à sa volonté comme à celle du destin. Il faut cependant rendre à Meg

  1. On sait que les grades s’achètent encore dans l’armée britannique. a. m.
  2. Meg, abréviation populaire de Marguerite.
  3. Cherchez un autre gîte. a. m.