Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/12

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un premier regard pouvait en certaines occasions être défavorable à notre voyageur, un coup d’œil jeté sur son compagnon devait en tout cas lui servir de justification et de garantie. Et pourtant ce dernier était enveloppé dans son manteau qui, lui couvrant en partie le visage, laissait beaucoup à deviner.

Ce second voyageur paraissait être un doux et gentil garçon encore dans la fleur de la jeunesse. Il portait la robe d’Esclavonie, vêtement ordinaire du pèlerin, plus serrée autour de son corps que la rigueur du temps ne semblait l’exiger. Sa figure, vue imparfaitement sous le capuchon, était prévenante au plus haut degré, et quoiqu’il portât aussi une épée, il était facile de voir que c’était plutôt pour se conformer à l’usage que dans le dessein de s’en servir. On pouvait remarquer des traces de chagrin sur son front, et de larmes sur ses joues ; telle était même sa tristesse, qu’elle semblait exciter la sympathie de son compagnon plus indifférent. Ils causaient ensemble, et le plus âgé des deux, tout en prenant l’air respectueux qui convient à l’inférieur parlant à son supérieur, semblait, par le ton et les gestes, témoigner à son camarade de route autant d’intérêt que d’affection.

« Bertram, mon ami, dit le jeune voyageur, de combien sommes-nous encore éloignés du château de Douglas ? Nous avons déjà parcouru plus de trente milles, et c’était là, disais-tu, la distance de Cammock… ou comment appelles-tu l’hôtellerie que nous avons quittée à la pointe du jour ? — Cumnock, ma très chère dame… Je vous demande mille fois pardon, mon gracieux jeune seigneur. — Appelle-moi Augustin, répliqua son camarade, si tu veux parler comme il convient pour le moment. — Oh ! pour ce qui est de cela, dit Bertram, si Votre Seigneurie peut condescendre jusqu’à mettre de côté sa qualité, mon savoir-vivre ne m’est si solidement cousu au corps que je ne puisse le quitter et le reprendre ensuite sans en perdre un seul lambeau ; et puisque Votre Seigneurie, à qui j’ai juré obéissance, a bien voulu m’ordonner de la traiter comme mon propre fils, il serait honteux à moi de ne pas lui témoigner l’affection d’un père. Ah ! je puis bien jurer mes grands dieux que je vous dois des attentions toutes paternelles, quoique je n’ignore pas qu’entre nous deux c’est le fils qui a joué le rôle du père, le père qui a été soutenu par la tendresse et la libéralité du fils. En effet, Bertram a-t-il jamais eu faim ou soif, sans que la grande table de Berkely[1] satisfît tous ses besoins ? — Je voudrais, répliqua la jeune

  1. Black-stock, dit le texte, pour désigner la table permanente qui se trouvait dans la grande salle d’un baron. a. m.