Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/113

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un fidèle sujet du roi d’Angleterre, et je souhaite bien sincèrement que vous persistiez dans votre fidélité. — Et l’on m’y encourage singulièrement ! répliqua l’abbé ; on m’arrache à minuit de mon lit par un temps froid comme il en fut jamais, pour subir l’interrogatoire d’un chevalier, qui peut-être est le plus jeune de son très honorable ordre, qui ne veut pas me dire le sujet de ses questions, mais me retient sur ce pavé froid jusqu’à ce que, suivant l’opinion de Celse, la goutte, qui est cachée dans mes pieds, puisse remonter à mon estomac ; et alors bonsoir à mon titre d’abbé et à vos interrogations pour toute l’éternité. — Bon père, dit le jeune homme, la nature des temps doit vous enseigner à être patient. Rappelez-vous que je n’éprouve aucun plaisir à m’acquitter des fonctions que je remplis en ce moment, et que si une insurrection avait lieu, les rebelles, qui vous en veulent passablement pour avoir reconnu le monarque anglais, vous pendraient à votre propre clocher pour servir de pâture aux corbeaux. Que si vous avez fait votre paix avec les insurgés par quelque convention privée, le gouverneur anglais, qui têt ou tard finira par l’emporter, ne manquera pas de vous traiter comme rebelle envers son souverain. — Il peut vous sembler, mon noble fils, » répondit l’abbé dont le trouble augmentait toujours, « que je sois déjà pendu aux cornes de votre dilemme : néanmoins, je vous assure que si on m’accuse de conspirer avec les rebelles contre le roi d’Angleterre, je suis prêt, pourvu que vous me donniez le temps d’avaler une potion recommandée par Celse dans le cas périlleux où je me trouve, à répondre avec la plus parfaite sincérité à toutes les questions que vous pouvez m’adresser sur ce sujet. »

En parlant ainsi, il appela un moine qui l’avait aidé à se vêtir, et, lui remettant une grosse clef, lui murmura quelque chose à l’oreille. La coupe qu’apporta le moine était d’un tel volume qu’il fallait que la potion de Celse fût administrée en bien grande quantité, et l’odeur forte qu’elle répandit dans l’appartement fit soupçonner au chevalier que la médecine pouvait bien ne consister qu’en ce qu’on appelait alors de l’eau distillée, préparation connue dans les monastères quelque temps avant que ce secret inappréciable fut parvenu jusqu’aux laïques. L’abbé, que n’épouvantèrent ni la force ni la quantité de la boisson, l’avala avec ce qu’il aurait lui-même appelé un sentiment de consolation et de jouissance, et sa voix devint encore plus grave : il déclara qu’il se sentait admirablement réconforté par la médecine, et prêt à répondre aux