Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vières jusqu’à la dernière goutte, épuisé des royaumes et foulé aux pieds des forêts dans leur marche dévastatrice. » En prononçant ces mots, une teinte de pâleur, semblable à celle qui couvrait déjà le visage de plusieurs courtisans, vint en obcurcir le front impérial.

« Cette guerre, dit Nicéphore, offre des circonstances particulières qui la distinguent de toutes les autres, excepté celle que Son Altesse impériale fit anciennement à ceux que nous avons coutume d’appeler Francs. Nous allons avoir affaire à un peuple à qui le bruit des combats est aussi nécessaire que l’air qu’il respire, à des hommes qui, plutôt que de vivre sans guerre, assiégeraient leurs plus proches voisins, ou s’appelleraient en combat singulier, d’un ton aussi allègre que nous délierions un camarade à une course de chars. Ils sont couverts d’une armure d’acier impénétrable, qui les protège contre la lance et l’épée ; la force extraordinaire de leurs chevaux leur permet de supporter un tel poids, quoique les nôtres seraient aussi capables de porter le mont Olympe sur leurs reins. Leurs fantassins portent une arme propre à lancer des flèches qu’ils appellent une arbalète. On ne les bande point avec la main droite comme les arcs des autres nations, mais en plaçant le pied sur l’arbalète même, et tirant la corde de toute la force du corps ; cette arme lance des flèches longues comme des javelots, faites de bois dur avec une pointe de fer, et ces hommes les décochent avec tant de force, qu’elles traversent les plus forts plastrons, et même des murailles de pierre d’une épaisseur ordinaire. — Il suffit, interrompit l’empereur ; nous avons vu de nos propres yeux les lances des chevaliers francs et les arbalètes de leur infanterie. Si le ciel leur a accordé un degré de bravoure qui paraît presque surnaturel aux autres nations, la divine Providence a donné au conseil des Grecs la sagesse qu’elle a refusée aux barbares… Nous connaissons l’art de faire des conquêtes par l’habileté, plutôt que par la force brute… et nous avons l’adresse d’obtenir dans les traités des avantages que la victoire elle-même n’eût pu donner. Si nous ne connaissons pas l’usage de cette arme terrible que notre gendre appelle l’arbalète, le ciel, dans sa bonté, a soustrait à la connaissance des Francs la composition et l’emploi du feu grégeois… parfaitement nommé, puisqu’il n’est préparé que par des mains grecques, et que des Grecs seuls peuvent en lancer les éclairs sur l’ennemi étonné. » L’empereur fit une pause, et regarda autour de lui ; et quoique ses conseillers parussent encore décontenancés, il continua avec fermeté.