Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/83

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car, ayant atteint ce qu’elle considérait comme la chute qui arrondissait une période, elle désirait avoir une idée des sentiments de son auditoire. À dire le vrai, si elle n’eût eu les yeux fixés sur son manuscrit, l’émotion du soldat étranger eût attiré plus tôt son attention. Au commencement de son récit, il avait conservé la même attitude qu’il avait d’abord prise, roide et sévère comme celle d’une sentinelle sous les armes, et ne paraissant se rappeler aucune circonstance, si ce n’est qu’il remplissait cette fonction en présence de la cour impériale. À mesure cependant que la relation avançait, il parut prendre plus d’intérêt à ce qu’on lisait. Il écouta avec le sourire d’un dédain qu’il tâchait de dissimuler, les craintes et les inquiétudes des divers chefs dans le conseil tenu pendant la nuit, et il éclata presque de rire en entendant les louanges prodiguées au chef de son propre corps, Achille Tatius. Le nom même de l’empereur, quoique écouté avec respect, n’attira pas non plus de sa part l’admiration que sa fille se donnait tant de mal à exciter, en se servant d’un langage si exagéré.

Jusque-là, la figure du Varangien n’indiquait aucune émotion intérieure ; mais son âme y parut beaucoup plus accessible lorsque la princesse arriva à la description de la halte, lorsque le corps principal eut passé le défilé, à l’approche inattendue des Arabes, à la retraite de la colonne qui escortait l’empereur, et au récit de l’engagement qui avait eu lieu dans l’éloignement. Il quitta, en en entendant la relation de ces événements, le regard sévère et contraint d’un soldat qui écoute l’histoire de son empereur, du même sang-froid avec lequel il eût monté la garde dans son palais. Son visage commença à rougir ou pâlir alternativement, ses yeux à se mouiller ou à briller, ses membres à s’agiter involontairement, et son attitude devint celle d’un auditeur fortement intéressé par le récit qu’il entend, et négligeant ou oubliant le reste de ce qui se passe autour de lui, de même que le rang de ceux qui sont présents.

À mesure que la princesse poursuivait son histoire, Hereward se trouva moins en état de cacher son agitation ; et au moment où la princesse jeta les yeux autour d’elle, l’émotion du soldat devint si vive, qu’oubliant le lieu où il se trouvait, et laissant tomber sa lourde hache sur le plancher, il joignit les mains, et s’écria : « Mon malheureux frère ! »

Tous tressaillirent au bruit que fit l’arme en tombant, et plusieurs personnes à la fois entreprirent de prendre la parole, comme si elles eussent été appelées à expliquer une circonstance si extraordi-