Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son rang, et bien qu’elle fût née dans la pourpre impériale (ce qu’elle considérait comme le premier de tous les avantages), sentit en se préparant à reprendre le récit de son histoire, qu’elle était plus jalouse d’obtenir l’approbation de ce rude soldat que celle de tous les courtisans qui l’environnaient. Il est vrai qu’elle les connaissait trop bien pour mettre un grand prix à des éloges que la fille de l’empereur était assurée d’avance de recevoir à pleines mains des favoris de la cour grecque, auxquels elle daignait communiquer les productions de son génie impérial. Mais elle avait maintenant devant elle un juge d’un nouveau caractère, dont les éloges devaient être dictés par un sentiment réel de satisfaction, satisfaction qu’elle ne pouvait produire qu’en touchant son esprit ou son cœur.

Ce fut peut-être l’influence de ces réflexions qui fut cause que la princesse fut plus long-temps que de coutume à trouver dans le rouleau de son histoire le passage où elle en était restée. On remarqua aussi qu’elle commença sa lecture avec embarras et timidité, ce qui surprit les nobles auditeurs qui l’avaient vue si souvent conserver toute sa présence d’esprit devant un auditoire bien autrement distingué dans leur opinion, et ayant plus de droits à être sévère.

Les circonstances dans lesquelles se trouvait le Varangien n’étaient pas de nature à le laisser indifférent à cette scène. Anne Comnène, il est vrai, avait atteint son cinquième lustre, époque après laquelle la beauté des femmes grecques commence à décliner. Depuis combien de temps avait-elle passé cette époque critique ? C’était un secret pour tout le monde, excepté pour les femmes de confiance initiées dans les mystères de la chambre de pourpre. La voix publique lui assignait un an ou deux de plus, ce que semblait confirmer ce penchant à la philosophie et à la littérature, penchant qui s’accorde rarement avec la beauté à son printemps. Bref, elle pouvait avoir vingt-sept ans.

Cependant Anne Comnène était encore belle ; et très peu de temps auparavant elle avait été une beauté du premier ordre. On peut donc supposer qu’elle possédait encore assez de charmes pour captiver l’imagination d’un barbare du Nord, si heureusement pour lui il n’avait eu soin de bien se rappeler l’immense distance qui le séparait d’elle. Ce souvenir seul aurait peut-être été insuffisant pour sauver Hereward de l’influence de l’enchanteresse, hardi et intrépide comme il l’était, car, dans ces temps de révolutions étranges, on vit plus d’un général heureux partager la couche d’une princesse