Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/65

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gien avec un air plus ouvert et un accent plus cordial qu’il n’en avait ordinairement au milieu de ses courtisans ; car, pour un souverain despote, un fidèle garde du corps est un homme de confiance, tandis qu’un officier de haut rang est toujours, jusqu’à un certain point, un objet de méfiance. « Hé bien ! notre digne Anglo-Danois, comment cela va-t-il ? » Cette espèce de salut amical, et tout-à-fait étranger au cérémonial ordinaire, surprit tout le monde, à l’exception de celui auquel il s’adressait. Hereward y répondit en joignant à ses paroles un salut militaire, qui tenait beaucoup plus de la franche cordialité que du respect ; et d’une voix ferme et élevée, qui fit tressaillir l’auditoire d’autant plus qu’il parlait en saxon, langue dont se servaient habituellement ces étrangers, il dit : Waes hael Kaisar mirrig und machtigh ! ce qui veut dire : « Porte-toi bien, fort et puissant empereur ! »

Alexis avec un sourire d’intelligence qui voulait dire qu’il pouvait parler à ses gardes dans leur propre langue, répondit par ce signal bien connu : Drink hael !

À l’instant même un page apporta une coupe d’argent pleine de vin. L’empereur y porta ses lèvres, goûta à peine la liqueur, et ordonna qu’on la remît à Hereward, en l’invitant lui-même à boire. Le Saxon ne se fit pas répéter cet ordre, et il vida la coupe sans hésiter. Un léger sourire, toujours renfermé dans les bornes du décorum, effleura les lèvres des assistants, à la vue d’une action qui, bien que n’ayant rien d’étonnant pour un hyperboréen, parut prodigieuse aux Grecs habitués à une certaine sobriété. Alexis lui-même se prit à rire beaucoup plus haut que ses courtisans ne crurent devoir se le permettre, et rappelant dans sa mémoire le peu de mots varangiens qu’il connaissait, et qu’il mêlait avec du grec, il demanda à Hereward : « Hé bien ! mon hardi Breton ou Édouard, comme on t’appelle, reconnais-tu ce vin ? — Oui, » répondit le Varangien sans se déconcerter, « j’en ai déjà goûté à Laodicée. »

Ici Achille Tatius sentit que le jeune soldat approchait d’un terrain glissant, et il s’efforça, mais en vain, d’attirer son attention, pour lui faire entendre par signe de garder le silence, ou de prendre garde du moins à ce qu’il allait dire en présence d’une si auguste assemblée. Mais le soldat qui, observant avec exactitude la discipline militaire, avait les regards constamment fixés sur l’empereur, comme sur celui-là seul auquel il devait répondre et obéir, ne vit aucun des signes que lui faisait Achille, et qui devinrent si évidents que Zozime et le protospathaire échangèrent tous deux des regards