Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/48

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mon bon Hereward, et tu es heureux de n’avoir aucun goût pour la vie que je viens de décrire. Cependant j’ai vu des barbares s’élever à un très haut degré dans l’empire, quoiqu’ils n’aient pas positivement cette flexibilité, cette souplesse, cette docilité qui sait se plier aux circonstances. J’ai connu des individus sortis de tribus barbares qui, ayant été élevés à la cour, joignaient à une grande flexibilité de caractère une fermeté, une constance de résolution assez fortes, sinon pour savoir profiter des occasions, au moins pour en faire naître ; ce qui n’est nullement à dédaigner. Mais, sans s’arrêter à ces comparaisons inutiles, il résulte de l’émulation pour la gloire, c’est-à-dire pour la faveur impériale, qui règne parmi les serviteurs de la cour sacrée, que chacun est désireux de se distinguer en prouvant à l’empereur non seulement qu’il comprend parfaitement les devoirs qui lui sont imposés, mais qu’il est même capable, en cas de nécessité, de s’acquitter de ceux des autres. — J’entends ; et de là il arrive que les sous-ministres, les soldats, les sous-officiers, chargés de seconder les grands officiers de la couronne, sont perpétuellement occupés, non à s’entr’aider les uns les autres, mais à espionner mutuellement leurs actions. — C’est cela même : j’en eus, il y a peu de jours, une preuve assez désagréable. Chacun, quelque médiocre que soit son intelligence, a pu comprendre clairement que le grand protospathaire, dont le titre, comme tu le sais, signifie le général en chef des forces de l’empire, me hait mortellement parce que je suis le chef de ces redoutables Varangiens qui jouissent, comme ils le méritent, de privilèges qui les dispensent de se soumettre à son autorité absolue, autorité qui convient à Nicanor, malgré l’éclat belliqueux de son nom, à peu près aussi bien que la selle d’un cheval de bataille conviendrait à un bœuf. — Comment ! s’écria le Varangien, le protospathaire prétendit à quelque autorité sur les nobles exilés ? Par le dragon rouge sous lequel nous vivons et mourrons, nous n’obéirons à nul homme vivant, si ce n’est à Alexis Comnène lui-même et à nos officiers qui nous commandent en son nom ! — Cela est très juste ! Voilà qui est bravement résolu ; mais, mon valeureux Hereward, que ton indignation ne t’emporte pas jusqu’à prononcer le nom sacré de l’empereur sans élever la main à ton casque, et sans y ajouter les épithètes qui sont dues à son rang suprême. — Je lèverai ma main assez souvent et assez haut quand le service de l’empereur l’exigera. — J’oserais en répondre, » reprit Achille Tatius (tel était le nom du chef des Varangiens), qui jugea que le moment n’était pas