Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/339

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devenus de plomb, jusqu’à ce qu’enfin il eût regagné la porte vitrée, où se trouvait une espèce de banc sur lequel il se plaça. « C’est ici, dit-il, que je veux rester. — Et c’est ici, reprit Douban, que je vais vous faire, de la part de l’empereur, une communication à laquelle il est nécessaire que vous vous prépariez à répondre. Vous remarquerez qu’on vous laisse parfaitement libre de choisir entre la liberté et la captivité ; mais on y met pour condition que vous renoncerez à ce plaisir doux, mais criminel, appelé vengeance, que le hasard, je ne vous le cacherai pas, semble vouloir mettre à votre portée. Vous savez que l’empereur voyait un rival en vous ; vous savez aussi combien de maux vous avez soufferts par son ordre. Voici la question : Pouvez-vous pardonner tout ce qui s’est passé ? — Laissez-moi m’envelopper la tête de mon manteau, dit Ursel, pour chasser l’étourdissement qui trouble encore mon pauvre cerveau, et dès que la mémoire me sera revenue, vous connaîtrez mes sentiments. »

Il s’enfonça sur son siège, la tête couverte ; et après quelques minutes de réflexion, avec un tremblement qui prouvait que le malade ressentait encore une affection nerveuse, résultat d’une extrême horreur mêlée d’épouvante, il s’adressa ainsi à Douban : « L’injustice et la cruauté, dans le premier moment qu’on en éprouve les effets, excitent naturellement le plus vif ressentiment dans la malheureuse victime ; et il n’est peut-être pas de passion qui vive si longtemps chez un opprimé que le désir naturel de la vengeance. Si donc, pendant le premier mois que j’ai passé sur ma couche de privations et de misères, vous m’eussiez offert une occasion de me venger de mon cruel oppresseur, j’aurais sacrifié avec joie le reste de ma misérable vie. Mais l’effet d’une souffrance de quelques semaines, ou même de plusieurs mois, ne peut être comparé à l’effet de maux qui durent des années. Après un court intervalle de malheur, le corps, aussi bien que l’esprit, conserve encore cette vigueur qui attache le prisonnier à la vie ; il s’émeut en songeant à la chaîne d’espérances, de désirs, de désappointements et de mortifications qui formait sa première existence. Mais, avec le temps, les blessures se cicatrisent, d’autres sentiments meilleurs occupent la place des premiers, qui vont tour à tour s’éteindre dans l’oubli. Les jouissances de ce monde n’occupent plus le temps de celui sur qui se ferment les portes du désespoir. Je vous dirai, mon cher médecin, que, pendant un temps, par une tentative insensée pour redevenir libre, j’ai percé une portion considérable de roc vif. Mais le ciel