Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/332

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enchanteur… Mais tu parviendrais plutôt à faire naître un sourire sur les lèvres de saint Antoine l’Ermite, qu’à forcer les miennes d’en laisser échapper un à la manière des voluptueux de ce monde. — Essaie donc, insensé, reprit l’empereur, et crois au témoignage de tes sens qui te démontrent la réalité du bien-être dont tu es maintenant environné ; ou si tu t’obstines dans ton incrédulité, reste comme tu es un seul instant, et je vais t’amener une créature dont l’amabilité est tellement sans égale, qu’un seul de ses regards rendrait la vue à tes yeux, ne fût-ce que pour la contempler un moment. » À ces mots, il sortit de la chambre.

« Traître, dit Ursel, menteur endurci, n’amène personne ici ! et ne cherche pas, à l’aide de formes idéales de beauté, à augmenter l’illusion qui dore un instant ma prison, afin, sans doute, d’éteindre l’étincelle de raison qui me reste, et de me faire changer cet enfer terrestre contre un cachot dans les régions infernales ! — Son esprit est un peu égaré, pensa le médecin, et c’est souvent la suite d’un long emprisonnement solitaire. Je serais bien étonné, se dit-il ensuite, si l’empereur pouvait se faire rendre quelque service raisonnable par cet homme, qu’il a si long-temps muré dans un si horrible cachot… Tu penses donc, continua-t-il, en s’adressant au malade, que ta sortie de prison, le bain et les rafraîchissements de la nuit dernière, n’étaient qu’un rêve trompeur, sans aucune réalité ? — Oui ; que serait ce donc ? — Et qu’en rouvrant les yeux, comme nous te prions de le faire, tu céderais seulement à une vaine tentation, pour être encore plus malheureux qu’avant ? — Je le crois ainsi. — Que penses-tu donc de l’empereur par ordre duquel tu souffres une détention si sévère ? »

Peut-être Douban souhaita-t-il de n’avoir pas fait cette question, car, au moment même, la porte de l’appartement s’ouvrit, et l’empereur entra, donnant le bras à sa fille, vêtue avec simplicité quoique avec une splendeur convenable. Elle avait changé son costume contre une robe blanche qui ressemblait à une espèce de deuil ; le seul ornement qu’elle portât était une guirlande de diamants d’une valeur inestimable, qui entourait et attachait ses longs cheveux noirs tombant jusqu’à sa ceinture. Presque morte de frayeur, elle avait été surprise par son père en consultation avec sa mère et son mari le césar, et Alexis d’une voix foudroyante avait en même temps placé Brienne, comme convaincu de trahison, sous la garde d’un fort détachement de Varangiens, et ordonné à sa fille de le suivre dans la chambre où reposait Ursel. Elle venait