Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/326

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ma douce, ma bienfaisante mère. Et toi, ma chère femme, qui as préféré ton amour pour un indigne mari aux suggestions de la jalousie et d’une implacable vengeance, assieds-toi, et voyons de quelle manière nous pourrions, sans manquer à notre devoir envers l’empereur, faire arriver au port notre malheureux vaisseau. »

Ce fut avec une grâce exquise qu’il conduisit la mère et la fille à leurs sièges ; et, se plaçant avec confiance entre elles deux, ils furent bientôt occupés tous trois à concerter les mesures qu’il fallait prendre, sans oublier celles qui devaient avoir pour double effet de conserver la vie au césar, et de défendre l’empire grec contre la conspiration dont il avait été le principal instigateur. Brienne s’aventura à laisser entendre que peut-être le meilleur moyen serait de laisser la conspiration s’exécuter suivant le premier projet, s’engageant sur l’honneur à empêcher que les droits d’Alexis ne fussent violés durant la lutte ; mais son influence sur l’impératrice et sa fille n’alla point jusqu’à obtenir une si grande preuve de confiance. Elles déclarèrent positivement qu’elles ne lui permettraient pas de sortir du palais, ni de prendre la moindre part à la confusion dont le jour suivant devait infailliblement être témoin.

« Vous oubliez, noble dame, dit le césar, que mon honneur m’ordonne de combattre le comte de Paris. — Bah ! ne me parlez pas de votre honneur, Brienne, dit Anne Comnène ; ne sais-je pas bien que, quoique l’honneur des chevaliers de l’Occident soit une espèce de Moloch, un démon qui se repaît de chair humaine et s’abreuve de sang, celui des guerriers de l’Orient, quoique aussi tapageur et bruyant dans un salon, est beaucoup moins implacable sur un champ de bataille ? Ne croyez pas que j’aie pardonné de grandes injures et de sanglantes insultes, pour prendre ensuite en paiement une aussi fausse monnaie que l’honneur. Votre esprit est bien pauvre si vous ne pouvez inventer une excuse qui satisfasse des Grecs ; et de bonne foi, Brienne, vous n’irez point à ce combat, que ce soit ou non dans votre intérêt. Ne pensez pas que je consente à ce que vous ayez une rencontre avec comte ou comtesse, soit pour vous battre, soit pour causer d’amour. Bref, il faut vous résigner à demeurer ici prisonnier, jusqu’après l’heure fixée pour cette folie. »

Peut-être le césar n’était-il point fâché au fond du cœur que le bon plaisir de sa femme se prononçât d’une manière aussi ferme contre le combat projeté. « Si, dit-il, vous êtes décidée à prendre mon honneur sous votre garde, je suis votre prisonnier, et