Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/322

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concourent à les favoriser. Elle prit donc avec force le ciel à témoin pour repousser cette accusation.

« Soyez-moi témoin, dit-elle, Notre-Dame, reine des cieux ! soyez-moi témoins, saints et martyrs, vous tous bienheureux, qui êtes, plus que nous-mêmes, les gardiens de la pureté de notre cœur, que je ne me connais point de passion que je n’ose avouer, et que, si la vie de Nicéphore dépendait de mes prières à Dieu ou aux hommes, j’oublierais et mépriserais toutes ses injures à mon égard, et qu’elle serait aussi longue que celle que le ciel a accordée à ceux de ses serviteurs qu’il a enlevés de la terre sans leur donner à souffrir les angoisses de la mort. — Vous avez fait là un serment hardi, dit l’impératrice. Tâchez, Anne Comnène, de tenir votre parole ; car, croyez-moi, vous serez mise à l’épreuve. — À quelle épreuve, ma mère ? comment aurais-je à prononcer sur le sort du césar, qui n’est pas en mon pouvoir ? — Je vais vous le montrer, » répondit gravement l’impératrice, et la conduisant vers une espèce de garde-robe qui formait un cabinet dans le mur, elle tira un rideau qui en fermait l’entrée, et Anne Comnène aperçut son infortuné mari, Nicéphore Brienne, à demi vêtu, avec un sabre nu à la main. Le regardant comme son ennemi, et un peu honteuse de certains projets qu’elle avait formés contre lui dans le cours de cette journée, la princesse poussa un faible cri en l’apercevant si près d’elle une arme en main.

« Soyez plus calme, dit l’impératrice, car si cet infortuné est découvert, il ne manquera point d’être victime de vos sottes frayeurs aussi bien que de votre barbare vengeance. »

Nicéphore parut comprendre par ce discours ce qu’il avait à faire ; baissant la pointe de son sabre, et tombant à genoux aux pieds de la princesse, il joignit les mains en implorant son pardon.

« Qu’as-tu à me demander ? » dit l’épouse, assurée, par l’humiliation de son mari, que la force était tout entière de son côté… « Qu’as-tu à me demander, que la reconnaissance outragée, l’affection trahie, les vœux les plus solennels violés, et les plus tendres liens de la nature rompus comme les fils d’une araignée, puissent permettre à ta bouche d’exprimer sans honte ? — Ne suppose pas, Anne, répondit le suppliant, que je veuille en ce moment critique faire l’hypocrite pour sauver le misérable reste d’une existence déshonorée ; je désire seulement me séparer de toi sans emporter ta haine, faire ma paix avec le ciel et nourrir le dernier espoir de me rendre, quoique chargé de crimes nombreux, dans