Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/314

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lement ces signes de misères humaines, et trois étages de prisons avaient été déjà passés, lorsque le père et la fille arrivèrent au bas de l’escalier, qui était de niveau avec les fondations de l’édifice, dont la base était un roc immense, grossièrement taillé, sur lequel s’élevaient les cloisons et les voûtes en marbre brut.

« Ici, dit Alexis Comnène, tout espoir, toute attente finissent, lorsqu’un verrou se ferme et qu’une serrure crie. Mais il y aura une exception à la règle générale : les morts revivront et reprendront leurs droits, et les gens déshérités qui habitent ces lieux retourneront dans le monde faire valoir leurs prétentions. Si je ne puis obtenir l’assistance du ciel, soyez convaincue, ma fille, que plutôt que de consentir à demeurer la pauvre bête pour lequel j’ai eu la bassesse de passer, et même de me laisser peindre dans votre histoire, je braverai tous les dangers dont la multitude menace en ce moment mes jours. Rien n’est résolu, sinon que je vivrai et mourrai empereur ; et vous, Anne, soyez sûre que, s’ils ont quelque pouvoir, ces talents et cette beauté qui ont tant reçu d’éloges, leur pouvoir sera exercé ce soir pour l’avantage de votre père de qui vous les tenez. — Que voulez-vous dire, mon père ? Sainte Vierge ! est-ce la promesse que vous m’avez faite de sauver la vie de l’infortuné Nicéphore ? — Je la lui sauverai, et je songe maintenant à cet acte de bienveillance. Mais ne pensez pas que je réchauffe encore dans mon sein ce serpent domestique qui a failli me donner la mort. Non, ma fille, je vous ai trouvé un époux convenable dans un homme qui peut maintenir et défendre les droits de l’empereur votre père… et gardez-vous d’opposer le moindre obstacle à ce qui est mon bon plaisir ! Voyez ces murs de marbre, et rappelez-vous qu’il est aussi possible de mourir dans le marbre que d’y naître. »

La princesse Anne Comnène fut effrayée en voyant son père dans une disposition d’esprit entièrement différente de toutes celles où elle l’avait jamais vu. « Ô ciel ! que ma mère n’est-elle ici ! » s’écria-t-elle, saisie de terreur sans savoir positivement pourquoi.

« Anne, reprit l’empereur, vos craintes et vos cris sont également inutiles. Je suis un de ces hommes qui, dans les occasions ordinaires, forment à peine un désir par eux-mêmes, et je suis bien obligé envers ceux qui, comme ma femme et ma fille, prennent soin de m’épargner toute la peine du libre arbitre. Mais quand le vaisseau est au milieu des récifs, et que le maître est appelé au gouvernail, croyez qu’il ne souffrira point que des mains indignes