Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/309

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi prudent que tu es rusé ; car, crois-moi, si tu insultes, si tu calomnies davantage ma sainte religion, et que je ne puisse te répondre avec des paroles, je n’hésiterai pas à te répliquer avec la pointe de mon poignard. — C’est un argument, charmante dame, dit Agelastès en s’éloignant un peu de Brenhilda, « que je ne désire nullement forcer votre douceur à employer. Mais quoique je ne doive vous rien dire de ces puissances supérieures et bienveillantes auxquelles vous attribuez le gouvernement du monde, vous ne vous offenserez sûrement pas si je vous parle de ces basses superstitions qui ont été admises pour expliquer ce que les mages appellent le mauvais principe. A-t-on jamais reçu dans une croyance humaine un être aussi vil… je dirais presque aussi ridicule… que le Satan chrétien ? La figure et les membres d’un bouc, des traits grotesques, faits pour exprimer les plus exécrables passions ; un degré de puissance à peine inférieur à celle de la Divinité, et en même temps une adresse à peine égale à celle des plus stupides animaux ! Qu’est-ce que cet être, qui est au moins le second arbitre de la race humaine, sinon un esprit immortel, armé de misérable malice ou du pauvre dépit d’un vieillard vindicatif ou d’une vieille femme ? »

Agelastès fit une singulière pause dans cette partie de son discours. Un miroir d’une très grande dimension était suspendu dans l’appartement, de manière que le philosophe put y voir se réfléchir la figure de Brenhilda et remarquer le changement de sa physionomie, quoiqu’elle eût détourné sa face de lui par horreur des doctrines qu’il débitait. Le philosophe avait les yeux naturellement fixés sur cette glace, et il demeura interdit en voyant une forme humaine se glisser de derrière l’ombre d’un rideau, et le regarder avec la mine et l’expression que l’on donne au Satan de la mythologie des moines ou au satyre des temps païens.

« Homme ! » dit Brenhilda dont l’attention était aussi attirée par cette apparition extraordinaire qui semblait être le diable lui-même, « tes infâmes paroles et tes pensées plus infâmes encore ont-elles évoqué le démon près de nous ? S’il en est ainsi, congédie-le à l’instant, ou sinon, par Notre-Dame des Lances rompues, tu connaîtras quel est le caractère d’une fille de France, quand elle se trouve en présence du diable en personne, ou de ceux qui prétendent pouvoir l’évoquer ! Je ne désire pas entrer en lutte à moins d’y être contrainte ; mais s’il faut que je combatte un ennemi si horrible, crois bien qu’on ne pourra pas dire que Brenhilda l’aura redouté. »

Agelastès, après avoir regardé avec surprise et horreur la figure