Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/307

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sois un morceau de bois, une pierre, une créature dénuée de tous sentiments, pour endurer mortifications, emprisonnement, dangers et détresse, sans que ma figure exprime les afflictions naturelles à l’humanité ? Vous imaginez-vous qu’une dame comme moi, aussi libre que le faucon sauvage, puisse souffrir l’outrage qu’on lui fait en la retenant captive, sans se sentir offensée, sans s’irriter contre les auteurs de sa captivité ?… Et crois-tu que je veuille recevoir des consolations de toi… de toi… un des plus actifs machinateurs de ce tissu de trahisons dont on m’a si bassement enveloppée ? — Pour moi, j’en suis tout-à-fait innocent, répliqua Agelastès ; frappez des mains, demandez ce que bon vous semblera, et l’esclave qui refusera de vous obéir à l’instant même serait heureux de n’être pas né. N’ai-je pas, par égard pour votre sûreté et votre honneur, consenti à être quelque temps votre gardien ? Sinon le césar aurait usurpé cet office, le césar dont vous connaissez le but, et vous pouvez pressentir par quels moyens il eût su l’atteindre. Pourquoi donc pleurer comme un enfant ? parce que vous êtes soumise pour un temps bien court à une contrainte honorable que le bras renommé de votre mari terminera probablement demain, long-temps avant midi ? — Ne peux-tu comprendre, homme qui as beaucoup de paroles mais peu de pensées honorables, qu’un cœur tel que le mien, accoutumé à ne compter que sur ma propre force et ma propre valeur, doit être nécessairement accablé de honte en se voyant forcé de devoir, même à l’épée d’un mari, un salut que je ne voudrais devoir qu’à la mienne ? — Comtesse, votre orgueil vous abuse, l’orgueil, le défaut dominant des femmes. Croyez-vous qu’il n’y ait pas une présomption coupable à dépouiller le caractère d’épouse et de mère pour adopter celui d’une de ces folles écervelées qui, comme les fanfarons de l’autre sexe, sacrifient tout ce qui est honorable et utile à une frénétique et ridicule affectation de courage ? Croyez-moi, belle dame, la véritable vertu consiste à se tenir gracieusement à sa place dans la société, à élever ses enfans et à charmer l’autre sexe. Tout ce qui sortira de cette sphère peut vous rendre haïssable et terrible, mais ne peut rien ajouter à vos aimables qualités. — Tu prétends être philosophe ; il me semble que tu devrais savoir que la renommée, qui suspend ses guirlandes sur la tombe d’un vaillant héros, ou d’une vaillante héroïne, vaut mieux que toutes les mesquines occupations auxquelles les personnes ordinaires consacrent leur vie entière. Une heure d’existence bien remplie de glorieuses actions et de nobles périls vaut de